Amérique latine - Entrevue
À l’automne 2015, la Trifluvienne Marie-Soleil Beauchemin franchissait les 4000 km qui séparent le Maine de la Floride à vélo. Un défi réalisé en solo lui permettant d’échapper au train-train quotidien le temps d’une saison. C’est cette même quête d’un mode de vie atypique où le goût de l’aventure et des passions priment sur tout le reste qui a mené cette professeure d’éducation physique à s’exiler aux quatre coins du monde soit pour étudier, travailler ou simplement voyager.
Après La Réunion, le Madagascar, l’Ile Maurice, l’Afrique du Sud, l’Australie, l’Indonésie, le Costa Rica et le Salvador, Marie-Soleil vient de débarquer au Nicaragua pour un deuxième hiver consécutif afin d’y coacher le surf chez ChicaBrava. Celle qui se fait appeler «Sun» par son entourage en référence à l’énergie chaleureuse et rayonnante qu’elle dégage nous raconte comment elle allie son amour des vagues et sa vocation d’enseignante pour faire de sa vie un été sans fin.
Crédit photo couverture: Marie-Christine Amyot
Certains pensent sûrement que devenir instructeur de surf est un bon moyen pour se rapprocher de leur passion. Mais le fait de surfer fait-il d’une personne un bon candidat à coacher le surf?
Quand tu surfes, t’es occupé à penser à toi, à tes vagues. Mais quand tu coaches, tu dois penser aux autres d’abord. Tu dois veiller à tes élèves, à leur sécurité et à les diriger. C’est vraiment différent. Quand y’a un gros «set» qui arrive et que t’en a trois à t’occuper, tu dois être tellement réactif. Surtout, ça prend de la pédagogie et c’est pas tous les surfeurs qui ont ça. J’ai commencé à coacher la gym à 14 ans, puis des équipes de cheerleading, après quoi je suis devenue professeure d’éducation physique donc c’est quelque chose que je sais aimer depuis longtemps. Une chose intéressante, c’est qu’à force de coacher, t’apprends aussi. La lecture des vagues surtout. Ce qui finit par la possibilité d’appliquer ce que t’apprends quand t’enseignes à ta propre pratique.
« L’enseignement c’est un élément que ça fait très longtemps que je sais que j’aime. Le surf c’est mon sport préféré et c’est même devenu ma vie durant les dernières années. Quand j’ai pu combiner les deux je me suis dit: That’s it, c’est ça qu’il me faut. » – Marie-Soleil Beauchemin
Si tu as ton baccalauréat en éducation physique, pourquoi ne pas avoir fait le traditionnel parcours d’être prof d’édu à temps plein dans un établissement scolaire au Québec?
Ça aurait été certainement plus facile mais mes valeurs et ce que je veux faire de ma vie ne sont pas entièrement reliés au système d’éducation québécois. Il y a plusieurs choses qui me déplaisent. C’est quand je me suis mise à voyager que j’ai compris qu’il y avait plus qu’une façon de faire et en travaillant dans nos écoles aussi, je me suis rendu compte que ce n’était pas pour moi.
Quand j’ai fait un stage au primaire pour mon bacc, ça me faisait capoter de voir à quel point on demandait aux élèves de se dépêcher tout le temps. On leur disait «vite c’est la récré, vite mets tes mitaines, vite mets toi en rang». Pourtant, ces jeunes là ont besoin de bouger et je me sentais mal d’être la prof qui devait leur dire de se taire. J’aime la spontanéité, la liberté et quand tu coaches du surf, tu coaches du monde qui ont vraiment le désir d’apprendre. Souvent, ce sont des gens qui ont mis de l’argent de côté pour pouvoir être là donc c’est vraiment motivant et gratifiant de les voir réussir, ce que je ne retrouvais pas au Québec. Et puis t’sais, les sports enseignés au Québec aussi… le volleyball par exemple! C’est vraiment pas une de mes passions et je pense que ça transparaissait dans mon enseignement.
« Dans le système d’éducation québécois, je me sentais comme un robot qui donnait de la matière plutôt que d’offrir quelque chose qui venait vraiment de mon coeur. » – Marie-Soleil Beauchemin
Coacher le surf au Nicaragua peut sembler être une vie parfaite mais puisqu’il y a un revers à chaque médaille, qu’est-ce qui fait en sorte que ça l’est moins?
C’est sûr que si j’étais prof dans une école au Québec à l’année, je me ferais beaucoup plus d’argent. Au Nicaragua, j’en fais beaucoup moins puisque c’est contractuel. Donc revenir au Québec quelques mois pour faire une autre job, et du remplacement pour ma part, aide souvent sur le plan monétaire. C’est voir même indispensable. Mais ici je suis à côté de la plage et constamment dans l’eau, c’est donc une autre forme de richesse.
C’est sûr aussi que tu ne surfes pas autant que tu veux. Tu es là pour que les autres surfent. Chez ChicaBrava, on est dans l’eau 3h par jour et là-dessus, je peux prendre une vague. Souvent c’est pour revenir au bord à la fin de la session. Sinon, le reste du temps on garde les participantes occupées. Je n’ai qu’une journée de congé par semaine et je t’avoue que j’ai pas tout le temps le goût d’aller surfer! J’en profite souvent pour sortir de la ville… parce que San Juan Del Sur, ça reste San Juan Del Sur. Il y a une petite bulle autour disons.
«Il y a une bulle autour de San Juan Del Sur», qu’est-ce que tu veux dire par là?
C’est une belle place mais ce n’est plus aussi «roots» que ça l’a déjà été, ça c’est certain. Ça brasse beaucoup. Il y a plein de bars et de restos, les gens font la fête et il y a beaucoup de touristes… C’est l’fun des fois mais c’est facile de rester pris dans la bulle San Juan. C’est comme une relation amour-haine: autant que ça fait du bien d’être là, autant que ça fait du bien d’en sortir. Quand j’ai congé, je préfère alors m’évader vers des endroits plus tranquilles comme Popoyo.
Crois-tu qu’il est possible de maintenir ce mode de vie à long terme?
Je crois que oui. C’est une job assez physique mais tant que j’aurai l’énergie pour être coach de surf c’est ce que je ferai. Autrement, il y a plein de variations possibles, par exemple «operation manager», qui consiste à faire les horaires de cours et de gérer l’activité du camp. C’est un travail plus routinier, mais plus probable à long terme aussi. J’ai déjà pensé à organiser des compétitions de surf, ou même éventuellement ouvrir ma propre compagnie. Ça laisse plus de liberté et apporte aussi une certaine stabilité que j’aurai sûrement besoin un jour.
Pour l’instant le «go with the flow» me plaît vraiment. Je signe des contrats de quelques mois à la fois et ça me procure la liberté d’aller où bon me semble. Le surf est devenu mon mode de vie, c’est ma motivation à voyager pour découvrir de nouvelles vagues, de me lever à 5:30 pour être la première dans l’eau et d’avoir comme uniforme de travail un bikini. J’adore la vie que je mène et je ne l’échangerais pour rien au monde.