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« J’aimerais encourager une compagnie de surf local, vous soutenir! » C’est très légitime, encourageons local, YEAH! Par contre, à l’heure actuelle, la réflexion est à pousser un peu plus loin. Est-ce juste une mode? Quelle est l’importance d’acheter une planche d’ici faite par un shaper local? Pourquoi c’est si dispendieux? Maintenant, ce n’est plus une question d’encourager un shaper local, mais de comprendre en quoi il se différencie, et qu’est-ce qu’il apporte d’unique sur le marché québécois voire canadien.
Pourquoi ton shaper local donne ce prix?
Tout d’abord, la plupart des matériaux qu’il utilise provient des États-Unis, plus précisément de la Californie. La «Golden State» est renommée pour ces matériaux spécifiques à la confection de surfs. On parle ici de pains de mousse, communément appelés «blank ». Tu peux toujours construire un surf avec du «foam» du Home Dépôt, mais ce n’est malheureusement pas garanti qu’il va durer dans le temps et qu’il sera de qualité. C’est une raison importante pour laquelle un shaper se dirige directement vers la Californie, à la source, pour avoir des produits de grande qualité.
Par contre, puisque les matériaux ne sont pas à proximité, il y a des coûts reliés à cette décision. Premièrement, les coûts pour les «blanks» varient selon la densité et la longueur. Sans oublier le «stringer» qui est le long bout de bois situé sur la longueur, à l’intérieur de la planche. Le shaper peut choisir le type de bois pour le «stringer» et l’épaisseur. La plupart des «blanks» sont en stock, par contre, si le shaper souhaite quelque chose sur mesure pour son client, c’est aussi possible, mais le temps d’attente devient alors un peu plus long.
Ensuite, une fois le matériel de base choisi, il y a la livraison, les frais de dédouanage, les outils de travail et même le taux de change US/Canada. De plus, la qualité de la résine et de la fibre de verre qu’un «shaper» choisit est tout aussi importante dans le processus de fabrication d’une planche de surf au Québec. Les distributeurs de résine spécifique aux surfs se situent principalement en Californie, au New Jersey et en Colombie-Britannique. Quelques bonnes options s’offrent alors aux fabricants de planches de surf au Québec.
Pourquoi ne pas décider de faire produire les planches en Chine?
La fabrication d’une planche de surf, on pourrait considérer ça comme un art. Chaque étape est produite avec grande minutie. Pour Martin de Guava Surfboards, chaque planche est unique et l’idée de faire produire ses planches en Chine est bien loin de sa pensée : « JAMAIS! La machine détruit la beauté de la chose. Pour moi c’est une passion, j’aime fabriquer mes planches! » Pour les shapers, en général, c’est vraiment pour un contrôle de qualité, d’éthique, d’intégrité et parce que c’est réellement une passion. Le fabricant de surf s’assure d’avoir des matériaux de qualité du début jusqu’à la finition. Il connaît ses produits et peut mieux expliquer la conception de sa planche. La réalité aussi, c’est qu’ici, pour la plupart des compagnies de surf québécoises, elles font chaque étape elles-mêmes : shaper, laminer, sabler et polir. En Californie, par exemple, il y a souvent une personne pour chaque spécialité. C’est pour ça aussi que la production au Québec peut prendre du temps et qu’elle a un prix, car les shapers portent plusieurs chapeaux, afin de réaliser une seule planche.
Quand la qualité laisse à désirer
Ce n’est pas nouveau, il y a plusieurs gammes de surfs fabriquées en Chine. Des planches qui sont souvent dessinées par ordinateur au Québec par exemple et produites massivement par des gens qui n’ont probablement jamais surfé, même jamais shapé une planche de leurs propres mains. « Ces planches sont belles en apparence, voire tape-à-l’oeil, cependant la qualité laisse à désirer. Pour avoir réparé quelques-unes de ces planches au Québec, c’est très inquiétant, autant au niveau de la qualité, de la durabilité que de la performance. Ces compagnies leurrent les clients avec un bon marketing.» affirme William Pichet, de Ananus Surfboards.
Les pressures spots: signe d’une mauvaise qualité?
De plus, on a tendance à se dire qu’une planche avec des «pressures spots» est une planche de mauvaise qualité. C’est à s’y méprendre, puisque certaines planches fabriquées en Asie n’ont aucune de ces marques «pressure spot» puisqu’elles ont un «gel coat».
Seb Chartrand de Boréal Surfboards nous met aussi en garde des planches sans «pressures spots». Il explique: « Les fameuses marques de pression sur les planches de surf, les surfeurs plus expérimentés vivent très bien avec, mais une bonne partie des surfeurs sont plutôt amers face à ceux-ci. Cependant, ces marques sont synonymes de performance. En effet, si la planche réagit à la pression que l’on exerce sur celle-ci, c’est qu’elle possède une vivacité. Elle n’est donc pas trop raide, la planche va «flexer» pour mieux entrelacer les courbes de la vague, moins réagir aux «chops» sur la surface de l’eau, et va même jusqu’à donner plus de projection aux manoeuvres.»
Si l’on prend une planche fabriquée en quantité industrielle, ces fabricants vont utiliser des matériaux qui simplifient cette production à la chaîne, tout en misant sur l’esthétique finale du produit, sans se soucier de la performance. Il est donc normal de voir des planches importées d’Asie, qui à travers le temps, auront moins de marques de pression. D’ailleurs, John John Florence et le shaper Pyzel ont travaillé sur son équipement pour le Championnat du monde cette année, en ajoutant une double concave sur le dessus de sa planche, pour simuler les marques de pression lorsqu’elle est neuve.» Il faut croire que même les champions en surf se soucient de ce petit détail, qui peut sembler banal, mais qui est très important!
Martin Guay, Seb Chartrand et William Pichet s’entendent tous pour dire que les planches manufacturées en Chine ou en Thaïlande manquent de vie lorsqu’on les surfent. Il y a certainement un juste milieu par rapport à ces marques, affirme tout de même Seb Chartrand. Le fabricant local de surf est donc là pour répondre à ces questions qui peuvent parfois sembler banales. Au contraire, chaque question est pertinente, le rôle du shaper est alors très important et permet d’éclairer son choix face à l’utilisation de différents types de matériaux de haute qualité qui aideront la performance!
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L’invasion des «Chinese popouts»
C’est sans l’ombre d’un doute que le surf est une industrie polluante, il faut en être conscient. En plus d’être polluant, acheter d’une production massive tue en quelque sorte la culture du surf local, qui est si importante à nos yeux. Dans un article de Surfer paru en 2018, l’auteur Justin Housman décrit les planches produites massivement en Chine ou en Thaïlande comme un «Chinese popouts». De plus, il explique qu’il y a un gars nommé @Editsurfboards qui combat cette invasion massive de «Chinese popouts» en utilisant les médias sociaux pour faire des revendications. Il n’est pas le seul, Peter Schroff dénonce et provoque aussi en utilisant l’humour et les «meme». Tu peux voir ce gars découper à la scie des surfs de type FireWire ou Hayden Shape, sous forme de performance artistique. Une façon assez flamboyante d’attirer les regards vers cette réalité qui est aussi très bien présente aux États-Unis.
La réalité, c‘est que oui, c’est difficile pour tous les fabricants de surf à travers le monde. Difficile de compétitionner avec les compagnies qui produisent ces planches de façon massive, possiblement dans des usines aux conditions de travail douteuses, tout ça pour s’enrichir, car le coût de production est moindre et son industrie profite du «cheap labor». Le prix est alléchant pour le client et le distributeur. Le rôle du fabriquant de surf est donc d’innover en offrant un produit qui sera se démarquer du marché actuel et continuer de conscientiser les clients.
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Pourquoi acheter d’un fabricant d’ici?
Le fabricant de surf a décidé de produire localement et à la main des planches de qualité, car il est un passionné de surf. L’hiver, le shaper local part au Sud essayer son nouveau modèle, se perfectionner en Californie et il rêve la nuit aux nouveaux concepts qu’il aura hâte de façonner. Les connaissances qu’il acquiert, d’année en année, permettent de concevoir une meilleure planche pour son client et adaptée aux besoins de celui-ci.
Les shapers locaux du Québec ont souvent une spécialité, il n’y a qu’à penser à Guava et les «glass-on», Boréal et ses fameux surf de type «fish» ainsi qu’à Ananus et sa connaissance en fabrication de surf de type longboard. C’est avec de nombreuses recherches sur le sujet qu’ils ont pu se spécialiser dans cet art. Ça n’empêche pas qu’ils sont excellents dans d’autres types de surf, osez leur demander et vous verrez!
« Lorsque je vends une planche à un client, j’ai un contact direct avec celui-ci. Je ne peux faire autrement que lui vendre le meilleur produit pour ses besoins. Je serais trop gêné de vendre une planche merdique. Contrairement aux plus grosses compagnies où les propriétaires n’ont aucun contact avec leurs clients.» affirme William Pichet, fondateur d’Ananus Surfboard
De plus, le shaper local comprend la réalité d’un surfeur québécois: celui qui est à la recherche des swells d’automne sur la côte Est des États-Unis, qui passe quelques semaines en hiver à surfer au sud et en Amérique centrale, ainsi que l’été à surfer dans le fleuve. Le fabricant de surf québécois peut réellement te guider dans ton choix de planche qui sera adapté à ton style et ton niveau de surf.
Il y a vraiment quelque chose d’unique à avoir un shaper de planche de surf local. Tu peux développer une relation avec ton shaper: « Parfois nos clients deviennent nos amis et on se retrouve à Habitat 67 ou on se croise dans le Maine, c’est vraiment trippant. » affirme Ananus Surfboards
Quoi ne pas demander à un shaper
Évite absolument de demander un rabais à ton shaper local. C’est comme si une personne allait dans une boulangerie et demandait un rabais. Est-ce que tu négocies ton pain chez ton boulanger? Et bien, pour une planche fabriquée ici, c’est la même chose. Un shaper/glasser peut passer plus de 15 heures à travailler sur une planche, sur la couleur, le «glassing», les «pinelines», les ailerons, la forme, l’hydrodynamisme, le sablage et plus encore. Le fabricant de surf choisit son prix en fonction du coût des matériaux et du temps qu’il prend pour concevoir une planche, s’il te plaît, fais-lui confiance.
Une conscience du travail?
L’information sur l’univers des planches de surf se retrouve sur plusieurs magazines de surf papier ou en ligne, autant qu’en suivant des compagnies sur les réseaux sociaux. «En étant dans cette réalité quotidiennement, il reste des trucs qui ne semblent pas clairs pour certains et qui sont plutôt évidents pour moi», affirme Seb Chartrand de Boréal. Martin de Guava parle même d’un changement de culture: « Au début, les gens allaient vers des surfs style « performance » parce que c’est ça qu’ils voyaient. Pour moi, j’aime faire des surfs «glass-on», c’est une de mes passions et je peux expliquer ce que ça change. Maintenant, notre rôle, celui des shapers, c’est d’éduquer et d’être la référence en surf pour mieux conseiller.»
Pour un fabricant de surf d’ici, c’est un art qui n’a pas nécessairement été transmis de génération en génération comme à Hawaii ou en Californie par exemple ou la culture du surf est présente depuis des décennies. Pour William Pichet, d’Ananus Surfboards, c’est aussi l’essai-erreur, ses études en art, ses recherches sur le sujet et ses périples en Californie qui lui ont permis de rapidement progresser. Du même avis, « C’est beaucoup d’années d’essai-erreur afin d’être fier de son produit et de prendre conscience de ses capacités», affirme Martin de Guava.
Il y a aussi que les clients font de plus en plus confiance aux shapers locaux. Juste à aller faire un tour à Habitat 67 ou à la vague à Guy, vous serez surpris de voir autant de Boréal, Guava ou d’Ananus dans l’eau. Seb Chartrand explique que pour lui, être présent à ces spots l’aide à avoir un contact avec ses futurs clients: « Je n’ai généralement pas besoin de convaincre les gens de se faire produire une planche chez Boréal, car je suis très présent sur le terrain et ceux-ci me font confiance. Mais je suis conscient qu’il faut continuer à travailler fort pour convaincre les gens sur tout le reste du produit.» Il y a aussi à penser à Ananus, en plus de devoir prouver que le produit était de qualité, le nom Ananus a été une lame à double tranchant. Un nom qui reste en tête, mais qui provoque un certain dégoût pour d’autres. « C’était un peu pour ça qu’Ananus est né, sans prétention, sans vraiment se prendre au sérieux, juste faire des planches pour le plaisir et que les gens aient du plaisir à surfer une planche de surf», affirme William Pichet.
Malgré les planches fabriquées massivement, ça reste tout de même un beau défi que les shapers québécois réussissent avec brio. Fabriquer des planches de surf au Québec, où l’océan est à plus de 5 heures de route, c’est assez exceptionnel. Nous sommes chanceux d’avoir cette culture de surf au Québec. Maintenant, la question qu’il faut continuer de se poser c’est tout simplement : selon nos valeurs, qu’est-ce qui est important pour nous lorsque vient le temps d’acheter une planche de surf neuve? Acheter d’une compagnie qui produit massivement un produit ou continuer de faire vivre la culture du surf d’ici en faisant confiance à ton shaper local?
«L’important dans l’achat d’un surf de qualité, ça devrait être avant tout que la personne qui a fabriqué la planche est un surfer, ça veut dire qu’il teste le produit, qu’il raffine le produit et qu’il est fier du résultat!» – William Pichet, Ananus Surfboards
Pour découvrir les planches de William, Seb et Martin:
Ananus Surfboards: Site Web | Page Facebook | Instagram
Boréal Surfboards: Page Facebook | Instagram
Guava Surfboards: Page Facebook | Instagram