L’Afrique à l’état brut

Initialement publiées dans le magazine Beach Brother à l’été 2017, nous repartageons aujourd’hui ces anecdotes d’Afrique alors que le Mozambique vient d’être dévasté par le passage du meurtrier cyclone Idai. Nous espérons que ces doux souvenirs d’un surf trip à visage humain sauront, comme nous, te donner envie de faire ta part pour soutenir les efforts de la Croix-Rouge sur le terrain. 


Benjamin et Jean-Michel sont partis à la découverte de sept pays africains en trois mois dans le cadre d’un voyage de surf en Afrique. Résultat : un choc culturel et une immersion totale qui vous font oublier en l’espace d’un instant vos propres origines. Ils reviennent pour nous sur la fin de leur voyage, au Mozambique et à Madagascar.

Le potentiel de surf en Afrique

À peine avions-nous quitté le territoire sud-africain que son immensité se déployait dans le reflet du rétroviseur : ses terres arides, son relief montagneux et ses Cotes léchées par des vagues légendaires. Reconnu pour être le berceau du surf sur le continent, l’Afrique du Sud avait tenu la promesse qu’engendre sa réputation. Grâce aux vagues de Mossel Bay, de Jeffreys Bay ainsi qu’une déferlante secrète en territoire zulu dans la région de Durban, on repartait légers, avec l’assurance d’avoir en poche assez d’images pour occuper plusieurs épisodes de notre série télévisée OuiSurf en Afrique. Notre quatuor avait fait le pari deux mois plus tôt de quitter le Québec enneigé pour parcourir sept pays d’Afrique au fort potentiel de surf. À l’aube de poser pieds sur le sixième, on s’était vus rejoindre par deux surfeurs sud-africains rencontrés à Durban. Nos copilotes, Rooster et Sean, étaient des habitués de notre prochaine destination sauvage : le Mozambique.

Vestiges de guerre au Mozambique

Si certains spots tel que Ponta do Ouro font partie des destinations prisées des Sud-Africains, cette ancienne colonie portugaise reste essentiellement très peu fréquentée des surfeurs du monde entier. Une fois sur place, on comprend vite compte pourquoi. Malgré la sécurité généralement rétablie depuis la fin du conflit civil en 1992, le climat politique demeure tendu. Qui plus est, s’y déplacer relève de l’exploit. Au volant de notre camion, on doit dégonfler légèrement les pneus afin de se prévaloir d’une meilleure traction sur les chemins de sable qui font office de routes.

Plus nous sillonnons les routes sinueuses du Mozambique, plus le contraste avec l’Afrique du Sud se dessine. Alors que le mercure augmente et que le caractère fruste s’accentue, seule la chaleur des habitants semble être une constante notoire entre ces pays voisins.

Tofinho

C’est à Praia do Tofo que l’on rencontre notre première vague mozambicaine : Tofinho, une droite rapide sur fond de récif qui porte ironiquement le même nom que le spot de surf le plus connu du Canada. Ici, pour notre plus grand bonheur, pas besoin d’enfiler de combinaison intégrale avant de ramer vers un line-up nettement moins peuplé.

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Pour trouver une vague complètement déserte, que nos guides Sean et Rooster nous font promettre de taire, il nous faut parcourir une centaine de kilomètres. C’est au cœur d’un parc naturel que nous la trouvons. L’eau cristalline, le fond de sable d’un blanc immaculé, mais surtout le sentiment d’être les seuls à profiter de ce décor sauvage com- pensent les quelques centimètres de houle qui nous accueillent. Qu’à cela ne tienne, on sort les longboards et on trouve le moyen de s’amuser. Seuls les vestiges d’hôtels abandonnés et criblés de balles rappellent le caractère éphémère de ce paradis terrestre, qui n’en a manifestement pas toujours été un.

Tout comme les Australiens ont contribué au développement d’une partie de l’Indonésie, on sent que les touristes en provenance du reste de l’Afrique pourraient faire du Mozambique leur propre territoire des Dieux. Est-ce son lourd passé entâché par l’esclavagisme et les mas- sacres, dont l’ombre plane toujours sur les visages et les sépultures commémoratives, qui met le Mozambique à l’abri des foules ? L’hypothèse semble néanmoins considérée par les locaux et les expatriés, visiblement prêts à protéger leur coin de pays de la lentille de la caméra. Il suffit de penser à Skeleton Bay en Namibie. Les surfeurs namibiens tentent soigneusement de protéger son emplacement en envoyant paître les touristes à des centaines de kilomètres du spot réel, pourtant situé à une quinzaine de minutes du très achalandé Walvis Bay. Par chance, le fleuron du Québec qui orne notre identité et la nature médiatique peu connue de OuiSurf nous immunise contre toute animosité. La petite caméra de type DSLR de notre caméraman nous permet aussi d’entrer plus facilement en contact avec les gens, sans les brusquer.

Le bout du monde est à Madagascar

Ce désir de préservation, nous le retrouvons sans surprise à Madagascar, destination ultime de notre tournée en terre et mer africaine. Une fois de plus, les habitations se font rudimentaires et les services limités, voire inexistants dans ce pays qui figure au cinquième rang des plus pauvres au monde. Il faut voir sur cette toile aux allures de temps révolu la pureté qui s’en dégage et constater la débrouillardise de ses habitants.

Puisque Madagascar est une ancienne colonie française, notre langue permet de converser plus facilement avec les Malgaches, tel qu’il en avait été au Sénégal et au Maroc. On se prévaut tout de même des services d’un guide à Fort-Dauphin, qui tient lieu de maison pour plusieurs Québécois employés par le géant minier Rio Tinto. Nous avons peine à croire que notre peuple a aussi sa part de responsabilité dans la perturbation de l’écosystème malgache. Un mélange de perplexité et de malaise se terre au creux de chacun de nous et nous essayons de nous reconcentrer sur notre mission télévisée. Non loin de l’extraction de zircon et d’ilménite, les vagues plutôt massives d’Ambinanibe Bay se dressent, surtout en période estivale. Notre guide Tsilav ne manque pas de nous mettre en garde contre ce beachbreak à la vague tubulaire rapide et puissante. Le vent offshore souffle tellement fort qu’il rend quasi impossible nos take-off, faisant de cette première session de surf à Madagascar un épisode agité !

Lavanono

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Mais c’est dans le village de Lavanono, au sud de l’île, qu’on tient à savourer notre dernière session du voyage. C’est là qu’une gauche mythique nous obsède depuis plusieurs années. Puisque la région n’a longtemps été accessible que par la mer, Lavanono reste particulièrement reclus du reste de la population malgache. Par la terre ferme, c’est deux jours de route qu’il nous faut endurer dans une chaleur étouffante, avec l’impression omniprésente de se rendre à l’autre bout du monde.

Ici, pas d’hôtel cinq étoiles et encore moins de Google Street View pour en attester. Seul le chef du village se préserve de notre sort puisque c’est lui qui octroie l’autorisation d’y surfer. Malgré tout ce que nous avons pu vivre au cours des derniers mois en Afrique, Lavanono nous déstabilise. Le village siège au pied d’une falaise de plus de 60 kilomètres de long, renforçant le décor lunaire. Quant à ses quelques 800 habitants, lorsqu’ils ne labourent pas la terre ou ne pêchent pas dans ses eaux, ils vivent dans de petites huttes en matière végétale, sans eau courante ni électricité. Les femmes elles, s’affairent à la cueillette de coquillages et à la vente de poissons au marché. Une fois les profits dégagés, la « richesse » des gens est quantifiée par le nombre de zébus qu’ils possèdent plutôt que par les économies pécuniaires.

Du surf trip à l’aventure humaine

Malgré ces différences qui nous projettent à des années-lumière de la réalité à laquelle nous sommes habitués, les habitants de ce village nous accueillent à bras ouverts, surtout les enfants. Parmi eux, Gigi, un Bordelais ayant choisi de faire sa vie au sein d’un système aux antipodes de sa France natale. Depuis près de vingt ans, Gigi contribue à l’innovation sur sa terre d’accueil, notamment par l’installation d’une antenne-relais pour permettre l’utilisation du portable. C’est aussi lui qui détient le seul hôtel du village, là où nous posons nos valises. À l›image du paysage qui se dévoile devant nous, la session de surf qui s›ensuit est mémorable. L’accès à trois spots le long du village fait de Lavanono un terrain de jeu idéal pour les surfeurs aux goûts et aux styles variés. Les vagues sont longues et bien puissantes, nous permettant de tout donner pour notre dernière fois en Afrique.

Si nous avons trouvé le bonheur dans ses vagues, c’est surtout dans les sourires et les regards sans âge échangés avec ses habitants que nous avons décelé l’essentiel. Le surf est devenu pour ainsi dire accessoire, comme une excuse idéale pour faire des rencontres, s’envoler et revenir sur terre.

Avant même de poser le pied sur le continent africain, nous avions de lui l’image métaphorique d’une grande dame qui mérite le respect. Si nous avons trouvé le bonheur dans ses vagues, c’est surtout dans les sourires et les regards sans âge échangés avec ses habitants que nous avons décelé l’essentiel. Le surf est devenu pour ainsi dire accessoire, comme une excuse idéale pour faire des rencontres, s’envoler et revenir sur terre. C’est parfois à l’endroit le plus éloigné de notre chez-nous que l’on reprend conscience de la réalité.

Par ici pour visionner la série OuiSurf en Afrique.