À la une - Côte Ouest - Entrevue
Depuis 3 ans, Jérémy passe ses étés sur la côte Ouest à travailler, surfer et faire de la photo. Mais pas n’importe quel type de photo. Il fait de la photographie argentique avec un Nikonos à pellicule 35mm, ce même appareil qui faisait autrefois les covers des magazines de surf. Lancés par Nikon en 1963, mais originalement développée par l’explorateur sous-marin Jacques Cousteau, la Nikonos a produit des images qui ont marqué toute une époque. Une époque qui est, selon Jérémy, loin d’être révolue. On a jasé avec lui de sa démarche artistique bien distinctive dans un monde où l’instantanéité du numérique prime.
JT D’abord, peux-tu nous expliquer pourquoi tu préfères la photographie argentique? Et pourquoi tu utilises spécifiquement un Nikonos pour le faire?
JL C’est lors de petits voyages de kitesurf aux États-Unis que j’ai commencé à utiliser ma première caméra 35mm. J’ai commencé les deux pieds dans l’eau avec une caméra que j’avais achetée pour 50$ à un collectionneur. Même si le prix a autrefois été un élément important à considérer pour l’achat de ma première caméra waterproof, à mon sens, la texture du grain de l’émulsion prédomine sur les pixels du numérique. Rapidement, je suis tombé amoureux des joyeuses erreurs, des égratignures, de la poussière et des traces de doigts qui ne font pas partie de l’expérience numérique.
Quand j’ai voulu m’initier à la photographie de surf de manière plus sérieuse, j’ai opté pour la camera qui avait pour réputation qu’une fois noyée, elle n’avait qu’à être séchée au soleil pour être prête à être utilisée de nouveau. Par malchance, j’en suis à mon troisième Nikonos cet été.
JT Quels sont les défis de la pellicule en photo de surf?
JL Les technologies des 40 dernières années ont bien évolué. Ainsi, je me retrouve souvent confronté aux limites techniques de mon appareil.
Pour chaque vague, je me donne comme règle de ne prendre qu’une seule photo. Autrement, sans autofocus, il me serait presque impossible de tout réajuster et de reprendre une photo nette. Une fois que les 36 photos de mon rouleau sont prises, je dois souvent nager jusqu’à la plage, rembobiner mon film avec les mains remplies de sel de mer et remettre un nouveau film dans ma camera pour pouvoir retourner à la nage jusqu’au break.
Ma caméra est totalement manuelle et fonctionne sans batterie. C’est dans les sessions de coucher de soleil que j’aime le plus prendre des photos. Chaque 15 minutes je me retrouve à devoir, sans outil de mesure, réajuster ma caméra pour la nouvelle dose de lumière qui entre dans ma lentille.
JT Comment fais-tu vivre ton art à l’époque des médias sociaux?
JL Parfois, je me sens bien à contre-courant d’utiliser un médium si lent dans un monde d’instantanéité. Or, je développe après chaque session. De mon scanner, je peux mettre du contenu sur Internet et lorsque ma réserve de films tire à sa fin, je mets en vente via Instagram des prints ou un petit zine que j’ai fait de mes photos. Le côté tangible, l’idée d’avoir le travail de quelqu’un dans les mains plutôt que sur un écran entre en contraste avec le phénomène des réseaux sociaux ou quelqu’un peut consommer autant d’images en si peu de temps. Cela permet en quelque sorte d’inviter les gens à prendre un rare instant de recul pour apprécier mon art.
JT On a entendu dire que le contenu de ton garde-manger en a surpris plusieurs. Peux-tu nous en dire plus?
JL À Tofino, mon garde-manger m’a plusieurs fois donné de drôles de surnoms. Quand je suis arrivé, mes colocs m’appelaient «Peanut Butter Boy». Quoique mon alimentation soit toujours constituée principalement de beurre de cacahuète Kraft, ce qui surprend le plus les gens sont les bouteilles de produits chimiques permettant de développer mes photos, les tasses à mesurer et les pellicules de film qui m’ont valu un autre surnom : «Breaking Bad». Pendant que mes 9 colocs tentent de cuisiner dans notre appartement, je me sers de la cuisine comme pièce pour y développer mes négatifs.
JT On retrouve souvent #filmisnotdead sur ton fil Instagram. Comment entrevois-tu l’avenir de la photo argentique?
JL Le médium repose sur la continuité de production de la pellicule, ça peut faire peur mais définitivement, l’argentique regagne en popularité. Je pense qu’il y a quelque chose de magique dans l’utilisation ce type d’appareil pour les gens de ma génération. Avec des caméras qui sont construites comme des tanks, la seule fin possible pour le film c’est la discontinuation des pellicules. Heureusement, dans les dernières années c’est tout le contraire qui arrive, les compagnies commencent à ressortir des vielles émulsions qui autrefois étaient discontinues. Avec ce genre de bonne nouvelle, je suis donc plutôt positif pour l’avenir de la photo argentique.
Pour suivre Jérémy sur Instagram: @lachance_jeremy