Art - Entrevue
Dessinatrice, peintre et amoureuse de la mer, Clémentine Bigot voyage principalement comme «chasseuse de vagues» en quête de dépressions suivant la houle et parcourant le littoral. Je la rencontrais il y a trois ans dans une soirée qui représentait le début de son tour du monde. J’ai cette image d’elle, souriante mais concentrée sur sa préparation de crêpes bretonnes d’où elle est originaire. Dans un coin de la cuisine gisait son sac à dos, juste à côté de sa planche de surf qui contrastait radicalement avec la neige par-delà la fenêtre. C’était là le seul et bien mince indice qui dévoilait que Clémentine avait fait du surf de compétition dans sa France natale.
Crédit photo: Clémentine Bigot
Aujourd’hui, l’ex-championne de Bretagne se souvient du pep naïf et enfantin qui l’habitait ce soir-là. «Comme si la moindre petite idée qui venait de germer dans ma tête pouvait automatiquement devenir réalité», explique-t-elle. Sa première désillusion, c’est ici d’ailleurs qu’elle l’a vécue, où elle a découvert que «le Québec c’est fucking grand» pour y faire du pouce et surtout compliqué avec la neige jusqu’aux cuisses!
Les prises de consciences se sont enchaînées au fil des pays où elle a posé pied, jusqu’à se découvrir une fibre artistique. La jeune femme de 25 ans se dédie aujourd’hui à la peinture et au dessin dont l’inspiration lui provient essentiellement des regards qu’elle croise en voyage. Rencontre avec celle qui a choisi les pinceaux comme mode d’expression et la route comme mode de vie.
Tu reviens d’un voyage de près de 3 ans passés dans une dizaine de pays. La question que beaucoup se posent sûrement; quels genre de jobs t’ont permis de tenir de coup?
Je m’étais fait mes réserves comme sauveteur en mer avant de partir. En Australie, j’ai commencé les trois-quatre premiers mois en woofing. Je sautais de ferme en ferme pour pratiquer mon anglais et j’optais pour celles proches de la mer afin de surfer. J’ai fini à Perth à m’occuper d’une petite fille épileptique pendant trois mois ce qui m’a permis de financer tout le reste du voyage où le coût de la vie était beaucoup moins élevé qu’en Océanie. Après, je ne suis pas une grosse dépensière. Je vis à la local, je dors en hamac et mange des bananes!
On peut dire que voyager pendant aussi longtemps ça devient carrément un mode de vie. Qu’est-ce qui t’a poussé à l’adopter?
Comme n’importe qui, on a tous besoin d’une bouffée d’air nouvelle pour se sentir bien dans ses baskets. Je suis quelqu’un d’assez extrême, très impulsive, j’aime me sentir vivante et insignifiante, retourner dans l’oubli et recommencer à zéro. Avec du recul, c’était carrément une fuite. Parce que je n’ai, et ne serai jamais quelqu’un de conventionnel. Je ne veux pas d’une vie toute bien rangé, je haie la routine. Se marier, avoir des enfants, le petits boulots clean, la nouvelle cuisine et la retraite à 67 ans, non merci!
Aussi, les Bretons ont tendance à se distinguer de la France un peu comme les Québécois vis-à-vis le Canada. Aujourd’hui, on se fait grignoter par les lois pondues d’on ne sait où, tout ça sous le nom de liberté égalité fraternité. Les choses changent, c’est palpable aussi minimaliste qu’elles soient. Comme la majorité, je faisais beaucoup la fête, c’était plus facile de faire un «reset» dans le cerveau que de décortiquer ses chagrins. Tout ça m’a amené à voyager. Et puis comme disait l’écrivain Gilbert Keith Chesterton, le monde ne mourra jamais par manque de merveilles mais par manque d’émerveillement.
En voyageant tu as aussi mis un terme au surf de compétition. Pourquoi ne pas avoir continué?
À un moment, j’ai su que ce n’était pas pour moi. Ça a fini par me monter à la tête, j’étais stressé, je voyais mes parents investir tous les weekends pour que je puisse participer en shortboard, open et longboard… j’étais entré dans le cercle vicieux du «je dois gagner». J’ai fini en 2009 par être « championne de Bretagne » sans aucun plaisir. J’avais l’horrible impression de retourner à l’école le weekend pour être jugée à savoir si je vais avoir la bonne note en étant meilleure que mes concurrentes.
À un certain point, je ne voulais même plus entendre parler de surf. J’ai arrêté quelques mois, puis j’ai repris avec mon père, celui qui d’ailleurs m’a initié au surf. J’ai retrouvé le vrai plaisir de la glisse, sans jugement ni paillettes. Certain trouvent leur compte dans la compétition, se dépassent, et ont besoin de ce stress… je trouve du plaisir autrement.
À travers tes voyages tu t’es découvert un autre talent, celui de dessinatrice/peintre. Quelle est ta relation avec cette forme d’art?
J’ai toujours aimé dessiné, mettre mes mains dans la peinture et voir dégouliner et se mélanger les couleurs vives. Je n’ai jamais fait les beaux arts ou été dans une école quelconque; encore une fois je suis hors cadre institutionnel. Je n’ai pas toutes les notions que peuvent avoir ceux ayant étudié l’art, ce qui est une chance car je ne me bride en rien. J’ai jamais été pointilleuse en graphisme, je fais du freestyle avec mes tripes. Ça me permettait de m’extérioriser de manière subtile, c’est mon moyen de communication. La peinture me fait ressentir, vivre, je peux mettre une odeur sur une couleur tout comme une ambiance. Tout est possible, c’est la forme matérialisée de l’imaginaire.
« C’est aussi puissant que de tuber en surf: c’est une question de profondeur, d’intensité et ça m’arrive d’être connectée, comme en transe. Je n’ai aucune idée de ce que je fais mais je suis là dans le présent en train de transmettre un message. » – Clémentine Bigot
On constate que tu fais surtout des portraits, qu’est-ce qui oriente ce choix?
Comme on dit, les yeux sont le miroir de l’âme. C’est pour ça que je dessine les regards des gens. J’utilise souvent l’image de l’enfant qui représente la naïveté sans gêne ni barrières, encore externe à la société. Ce sont les plus vivant avec leurs yeux profond et globuleux. Je me penche également de plus en plus sur les personnes âgées et leurs « autoroutes de vie » sur le visage. Ils représentent pour moi la sagesse et l’histoire. D’une beauté rayonnante, ce sont les plus complexes et les plus détaillés à figer sur papier.
Puis la femme en tant que force de caractère ou bien physique. Qu’elle soit combattante, travailleuse ou maman d’une dizaine d’enfants le tout camouflé sous leur beauté subtile. C’est aussi un moyen de partager un regard ailleurs tout en restant chez soi. Chacun est libre d’imaginer ce qu’il ressent en croisant le regard de tel homme ou tel femme; Qu’ont-ils à raconter? Grâce au regard, on laisse l’imagination entrer en ébullition.
« Les gens sont les vecteurs de la pulsation d’un territoire. » – Clémentine Bigot
Tu as participé à quelques expositions récemment. Est-ce qu’on en conclut que ton art te permet de financer tes voyages?
J’ai participé à quelques petites expositions ce qui m’a permis d’échanger avec les gens et ça m’a beaucoup aidé. Je suis quand même resté sur la retenue lors des dernières expo car je ne souhaite pas en dévoiler trop, je n’ai montré que 5 toiles. Cela dit, mes peintures ne me permettent pas à ce point-ci de financer mes voyages. Je ferai les démarches nécessaires en termes de communication et autres, mais pour l’instant, il faut créer. ◼
Clémentine travaille présentement sur un projet rassemblant ses peintures, ses photos et ses écrits. Un carnet de voyage qui représente pour elle une forme de patrimoine et une façon d’éveiller la flamme en ceux qui tomberont dessus. Carnet dont elle pourra alimenter cette année grâce à ses aventures prévues au Portugal, au Mexique, au Pérou et en Irlande, où elle ira surfer avec son copain. La Bretagne garde toutefois sa place en tant que port d’attache, dont Clémentine reconnaît la valeur.
« Il y a trop de supers endroits qui ont l’air malades mais qu’importe où l’on soit, on a forcément des racines quelque part à prendre soin. On a un super potager à s’occuper, un puits à creuser, une vie simple de surf à nourrir, pleine d’amour en yourte sur notre chère terre bretonne. » – Clémentine Bigot