KALELEO : surfer au coeur des tribus

Les pros longboardeurs Justine Mauvin & Damien Castera nous ramènent un récit de voyage aux Mentawais et Papouasie-Nouvelle-Guinée : KALELEO, qu’ils ont pris soin de réaliser tous les deux, sans concession sur la réalisation. Le rendu plus artisanal que technique laisse toute la place au processus empreint de véracité. Loin des voyages de surf types que s’offrent les pros surfeurs, le couple délaisse la civilisation et les Jets Ski pour plonger dans la « forêt profonde » nommée Kaleleo dans la langue Mentawai. Le film commence d’ailleurs avec Damien qui s’enfile un de ces gigantesques vers qui sert de collation aux Papous. Si pour eux, partir deux mois à la découverte de vagues vierges et camper sur des îles désertes fait partie du motif de départ, partager le quotidien de tribus les plus retirées au monde, comme les hommes fleurs de Siberut ou les hommes crocodiles du fleuve Sepik, en fut un autre, plus fondamental à leurs yeux. Dans ces jungles se dissimulent des trésors d’humanité, des tribus demeurées intactes ou presque (la déforestation fait des ravages), malgré les phases successives de colonisation, d’évangélisation et de mondialisation marquant nos vies contemporaines.


ENTREVUE AVEC DAMIEN CASTERA

Depuis déjà quelques années, Justine et toi vivez du surf de manière professionnelle, mais il semble que la production de films vous intéresse parallèlement. Est-ce un second souffle à votre votre carrière?

À vrai dire, cela fait maintenant 4 ans que je réalise des films. J’en suis à mon 5e avec 2 films sur l’Alaska, 1 film sur la Namibie, 1 film sur la Patagonie Chilienne et ce dernier film sur les tribus des Mentawais et de Papouasie. C’est pour moi une évolution obligatoire dans ma carrière de free surfeur. J’aime tout ce qui se rapproche du monde de la culture et de l’aventure, quoi de mieux alors que de réaliser ses propres films.

Qu’est-ce qui vous a poussé à prendre la route vers ces forêts tribales? Est-ce une échappatoire vers des communautés plus authentiques, une soif de vous confronter à une autre réalité? Surfer en paix?

Après quatre expéditions en eaux froides, je souhaitais changer de décors et réaliser une aventure basée fondamentalement sur l’humain. Rencontrer certaines tribus ancestrales qui évoluent à l’écart du monde, découvrir leurs richesses, leurs croyances. Justine rêvait quant à elle depuis toute petite de visiter la Papouasie.

Dans la biographie introductive de votre film, on peut lire que l’humain fait quotidiennement plusieurs dizaines de milliers de choix… 35 000 pour être plus précis. Pourquoi avoir choisi de passer deux mois dans les Mentawais et la Papouasie-Nouvelle-Guinée?

Ce n’est pas vraiment la destination qui est importante, mais la façon de voyager. On aurait pu faire le même choix que la plupart des surfeurs, réserver notre place sur un bateau de luxe et surfer des vagues parfaites sans vraiment se mêler au pays. On a préféré l’aventure, la jungle et les rencontres humaines. 

Ce qu’on a perdu en confort, nous l’avons gagné en expérience. — Damien Castera

Comment en êtes-vous arrivés à combiner le surf, l’exploration et le repos, à travers un contexte de tournage du film? Aviez-vous une équipe derrière vous?

Sur deux mois de voyage, il y a un temps pour tout. Certaines parties de l’aventure étaient dédiées à l’exploration de la jungle et des tribus, puis nous prenions le chemin des îles pour surfer. Nous filmions alors chacun à notre tour en essayant de garder une certaine cohérence pour le montage du film.

Nous avons choisi de partir seulement tous les deux pour plusieurs raisons. Tout d’abord, afin de limiter au maximum notre impact sur les tribus que nous visitions. Débarquer avec toute une équipe de production n’aurait certainement pas eu le même effet.

Ensuite, nous voulions vivre notre histoire à fond sans devoir faire de concessions avec une équipe de tournage (réalisateur, producteur…). Avec Justine, nous avons la même approche, la même sensibilité, la même vision des choses, en partant ensemble nous savions qu’il n’y aurait pas de discordes dans les choix à prendre. Enfin, la dernière raison, c’était d’apprendre à faire un film. Justine n’avait jamais filmé auparavant, moi même j’ai plus souvent été devant la caméra que derrière. On s’est rendu compte que c’est très intéressant de filmer lors d’un voyage, cela permet de sublimer certains moments, d’être à l’affût des moindres détails, de l’émotion, de la composition et de l’espace, un peu comme quand on prend des notes dans un journal de bord. C’est un exercice très enrichissant dans lequel nous avons une bonne marge de progression.

Est-ce que c’est votre première expérience de production de film ensemble? Comment avez-vous vécu le projet à titre de couple versus collègues de travail?

C’était notre premier projet commun et ça c’est vraiment bien passé. Il est certain que ce n’est pas toujours évident de travailler en couple, de surcroît dans un environnement naturel difficile, mais il faut relativiser, nous sommes dans un endroit que nous avons choisi afin de réaliser un projet personnel qui nous est cher. En plus, je dois dire que Justine possède un caractère fantastique, très facile à vivre, je ne dirais pas la même chose du mien 😉. C’est donc à elle qu’il faudrait poser la question.

D’après les chefs de village, Justine est la première femme à avoir surfé dans ce coin du monde.

Un projet documentaire dans la jungle laisse nécessairement place à des péripéties devant comme derrière la caméra…

Après avoir sillonné des zones infestées par la dengue et la malaria, mangé des repas assez douteux et côtoyé pas mal de tribus reculées, nous n’avons eu aucun problème majeur. Nous avons été relativement chanceux. Quelques coupures sur le reef en surfant, un quasi-naufrage sur une île déserte, pour le reste tout s’est bien déroulé.    

Avez-vous eu à faire le deuil d’histoires qui n’ont pas réussi à faire partie du film et que vous auriez aimé raconter?

Nous aurions aimé passer un peu plus de temps dans les tribus et participer à certains rites comme la célébration chamanique qui précède les grandes parties de chasse chez les hommes fleurs. Il y a également cette nuit durant laquelle les Iatmuls, armés de simples lances en bambou, nous ont amenés chasser le crocodile sur le fleuve Sepik. Embarqués sur une minuscule pirogue, navigant dans l’obscurité la plus totale, traquant les yeux de la bête avec le faisceau d’une lampe électrique. Nous n’avions pas de matériel adapté pour filmer dans la nuit, mais l’expérience restera gravée dans nos mémoires.

Après avoir passé 2 mois “off the grid” à voyager dans les coins les plus isolés de ce monde et à côtoyer des tribus, quelles sont les plus grandes découvertes que vous avez faites sur le terrain?

Nous avons découvert que les hommes de la jungle usent de poésie ancestrale pour enchanter le monde. Ils sacralisent la nature, chantent des psaumes merveilleux sous le soleil et vénèrent les esprits. Les rivières sont alors transformées en déesses de la forêt, la lune en reine de la nuit, les animaux sont des frères et des soeurs, chaque être vivant de ce monde possède une place fondamentale dans la chaîne de la vie, depuis les larves jusqu’aux étoiles du ciel.

Quelle a été votre meilleure vague du voyage? Où se trouve-t-elle? Si vous pouvez la partager bien sûr.

Les vagues que nous avons découvertes en Papouasie-Nouvelle-Guinée resteront gravées à tout jamais dans notre mémoire. Deux gauches et une droite tubulaires sur un fond corallien, seuls à l’eau devant des tribus heureuses d’assister au spectacle. Bien sûr, je garde le détail de la localisation pour moi. Ce qui est important dans le voyage c’est la recherche, la quête, le voyage lui-même. Si je révèle l’endroit, le charme est rompu.

 

Quels éléments déclencheurs ou rencontres vous ont marqués assez pour changer vos perceptions de ce monde?

Je pense que dans un voyage, il faut essayer d’abandonner nos idées préconçues, nos fantasmes. On a tous en tête l’image du bon sauvage vu à la télé ou dans un magazine. Il faut savoir sortir de ces stéréotypes et réinitialiser notre perception des choses. Je me souviens encore de la mise en garde de mes proches avant mon départ : “fais bien attention à toi Damien, le cannibalisme n’a pas tout à fait disparu dans ce pays” ou “c’est un peuple de guerriers continuellement en conflits”. En parcourant les tribus du Sepik, je suis au contraire subjugué de découvrir un peuple aussi loin des conventions qu’on lui prête. Aux guerriers des histoires anciennes se sont substitués des hommes forts comme des rocs certes, mais animés d’une bienveillance de tous les instants. Quelle que soit la tribu, les Papous ont un tempérament calme et sont réfléchis, polis jusqu’au raffinement, d’une douceur peu commune faisant contraste avec leur force physique. Ils sont constitués d’un esprit gai et jovial, le rire facile et la dignité robuste. Comme quoi c’est important de garder un esprit critique quant à notre perception des choses.

Quels sont les réactions ou le message que vous souhaitez véhiculer avec KALELEO?

Nous souhaitons mettre en avant une certaine esthétique du voyage, en mélangeant l’aventure, les rencontres humaines et le surf. La quête de la vague parfaite n’est pas le but de notre voyage, elle en est le prétexte. Nous voyageons, car nous souhaitons ressentir pleinement l’intensité du monde, toucher du doigt ses richesses, ses couleurs, la diversité de ses peuples. En partant à l’autre bout du monde, on confronte sa vérité à celle des autres. Il était important avec Kaleleo de garder une vision optimiste des choses. Notre film se termine d’ailleurs ainsi :

Lorsque l’on vient d’un monde où l’on a tout ce qu’on veut, sans savoir ce qu’on a, il est parfois bon de retrouver un peu de légèreté, de sentir sous nos pas la force terrestre. Et lorsqu’on pénètre la jungle aussi bien que le coeur des hommes, on se rend compte que la vie a soudain de grands territoires devant elle…

Avez-vous d’autres voyages ou projets en vue?

Nous planifions une nouvelle expédition en Papouasie occidentale, nous l’espérons début 2018. Entre temps, je pense à une petite balade en kayak du côté de Vancouver Island. Un endroit que je rêve de visiter depuis longtemps.

Où peut-on vous suivre? Où peut-on voir le film?

Nous n’avons pas de site internet, mais communiquons sur nos réseaux sociaux. Nous cherchons un moyen de diffusion pour notre film. Dès que nous l’aurons trouvé, nous donnerons toutes les infos sur nos pages facebook : Justine Mauvin & Damien Castera.


À propos de Damien Castera

  • Free longboardeur professionnel
  • Né à Bayonne
  • 5e aux championnats du monde de Longboard 2011 en Italie
  • Vainqueur de la coupe d’Europe de Longboard 2010 à Vieux Boucau
  • Vice champion de France 2010
  • Il surf… tous types de planches rétro, du twin à l’alaia en passant par le Single fin et le quatro.
  • Il voyage… par passion, pour explorer de nouveaux paradis, de nouvelles vagues, pour rencontrer et apprendre des autres cultures. Il tient un carnet de bord au jour le jour et publie régulièrement quelques extraits de ceux ci dans la presse spécialisée.

 

 

À propos de Justine Mauvin

  • Free longboardeuse professionnelle
  • Né à l’Ile de la Réunion
  • N.3 mondiale WSL 2016
  • N.5 mondiale WSL 2015
  • Championne de France 2014 et 2016
  • Adepte de… dy ju jitsu brésilien, taekwondo et yoga,
  • Elle est aussi…chanteuse, pianiste, modèle et ambassadeur de Roxy