Surfer sa cour arrière à Rimouski

L’été, on le regarde avec envie. L’hiver, avec répulsion à la simple pensée de sa température. Du long de ses 2 000 km, le Saint-Laurent se transforme non seulement au fil des saisons: ses eaux passent de douces à salées, de calmes à Montréal à mouvementées en Gaspésie. À un certain point, le fleuve devient si large que le vent peut souffler et déplacer les vagues sur des centaines de kilomètres sans rencontrer d’obstacles majeurs. Du point de vue d’un surfer, on parle alors de fetch. C’est ce même fetch, environ une trentaine de fois par année avec un peu de chance, qui nous permet d’avoir du swell à Rimouski.

Crédit photo: Jean-Christophe Lemay

« Du swell à Rimouski ? Tu veux dire des vagues et potentiellement du surf ? » Oui, et parfois même du très beau surf. Pour être franc, je n’y croyais pas trop non plus lors de mon arrivée, il y a de cela 6 ans maintenant. Pendant au moins trois ans, la durée de mon baccalauréat en biologie marine au complet, j’ai vécu dans l’ignorance, avec des planches qui dormaient dans mon appartement. Si seulement j’avais su.

C’est un collègue qui m’a un jour parlé des vagues bordant le village de Sainte-Flavie, à l’est de Rimouski. Je n’ai pas attendu longtemps pour en avoir le coeur net. En route, j’avais au delà de ma fenêtre d’auto un fleuve miroir, presque plat, à peine une petite houle. Mais plus j’avançais, plus ça grossissait. Je me suis finalement arrêté sur le bord de la route, les yeux ronds comme des 2$. Évidemment, tu ne peux pas espérer passer de plat à du double overhead mais quand tu ne t’attends à rien et que tu tombes sur une droite waist-shoulder high dans ta cours arrière, ça éveille du stoke en toi.

J’ai enfilé mon 6/5/4 mm avec un hood, pris mon fishcuit et sauté à l’eau. Les vagues entraient sans cesse avec une période de 6 secondes. C’est à ce moment que j’ai pris ma première vague sur le Saint-Laurent à vie, et sans doute l’une des plus satisfaisantes. Malgré mes pieds frigorifiés qui ne sentaient même plus les roches sur lesquelles on doit marcher à l’entrée et à la sortie à l’eau, c’était mieux qu’une session dans l’eau chaude du Costa Rica avec des droites parfaites et des palmiers à l’horizon. C’était la découverte d’une vague «impossible» qui finalement existe, dans notre chez nous ici au Québec.

À partir de ce jour, la chasse fut ouverte au grand désespoir de ma mère qui voyait des photos d’une rive pleine de roches et de ma face gelée. Souvent seul à l’eau, je me demandais pourquoi si peu de gens en profitaient pour finalement réaliser qu’il y avait d’autres passionnés dans le coin. De David, l’expert forecast et shaper à son temps, jusqu’à Gonzalo, l’Argentin au style beaucoup trop smooth qui est venu faire ses études ici, c’est une petite communauté de surf rimouskoise qui s’est établie au fil du temps.

Les sessions se partagent souvent entre 4-5 humains et 2-3 phoques quand les vagues sont au rendez-vous, que l’on suit de près grâce aux lectures assidues des prévisions de vent. Le nombre de sorties en surf augmente constamment et la saison s’étire d’avril jusqu’en janvier puisque l’hiver et la banquise arrivent de plus en plus tard.

Évidemment, le Saint-Laurent ne nous donne pas tout le temps du head high et souvent, il faut sortir les longboards les plus volumineux. L’eau est assez froide même l’été. Il vente le trois quart du temps à en perdre son board. Mais deux ou trois fois par années, les droites défilent sur de longues distances, head high et plus, à peine un peu de vent et une période de 7-8 secondes. J’attends encore mon premier barrel Laurentien… un surfeur peut rêver!

Le fleuve reste un terrain de jeu passionnant même en l’absence de vagues, surtout du point de vue d’un biologiste. Avec des eaux calmes, c’est un monde sous-marin à découvrir qui s’offre à nous. Étoiles de mer, oursins, phoques, méduses, jamais je n’aurais pensé voir autant de biodiversité juste ici, dans notre cour arrière. C’est en y passant autant de temps qu’on finit par développer une relation étroite avec le Saint-Laurent et qu’on souhaite la partager davantage. Les photos deviennent un moyen efficace et direct pour véhiculer ces richesses locales et accessibles. Le Saint-Laurent, c’est beau et ça nous appartient tous. Il ne reste qu’à profiter de cette ressource inestimable.