Bagus Sekali - Environnement - Indonésie
Quand on pense aux déversements d’eaux usées dans le Saint-Laurent en 2015, à ses reflets brunâtres et à la contamination générale qu’il subit, il est facile de se mettre à rêver d’océans lointains. On se dit que si l’herbe est si pâlotte dans notre cour, elle doit nécessairement être plus verte ailleurs. Et donc, que les eaux bordant les îles exotiques doivent être pas mal plus propres que chez nous. En s’envolant pour l’Indonésie pour tourner Bagus Sekali, on savait très bien que le pays n’était pas un exemple à suivre en matière de gestion de déchets. Mais ce qu’on a trouvé aux abords de la mine Batu Hijau à Sumbawa nous aura donné un reality check au goût amer. Surtout, l’obligation de reconnaître que bout du monde n’est pas synonyme de perfection.
Cuivre, or et autres merveilles de Batu Hijau
Tout près du spot de surf de Yoyo à Sumbawa se trouve l’une des plus grosses mines à ciel ouvert de l’Indonésie: Batu Hijau. La mine est opérée depuis 2000 par la compagnie PT Newmont Nusa Tenggara (PTNNT), dont la majorité des parts appartient à une compagnie américaine. Ce qu’on ne savait pas en surfant à moins d’une dizaine de kilomètres de Batu Hijau, c’est qu’elle arrive deuxième au classement mondial des mines qui rejettent le plus de déchets miniers à l’eau.
Un mal nécessaire, apparemment, pour extraire 25 tonnes d’or et 216 000 tonnes de cuivre, soit la totalité de ce qui y a été prélevé en 2016. En effet, après avoir fait l’extraction dans le sol, il faut départir le cuivre et/ou l’or du reste des roches, qui elles, n’ont pas de valeur marchande. Alors que cette séparation implique souvent des produits chimiques, une vidéo promotionnelle publiée par Newmont Mining assure que leurs façons de faire n’en implique pas, puisqu’ils utilisent une technique physique, par «flotation».
Simon*, un métallurgiste qui oeuvre dans une mine du nord du Québec, nuance cette affirmation. «Pour la flotation, des réactifs chimiques sont utilisés. Mais ils sont souvent volatile et/ou emporté avec le concentré (qui sert à détacher le minéral désiré). Ce n’est pas ce qui m’inquiéterait le plus.»
Réactifs chimiques et acidification
Dans la vidéo de Newmont Mining, qu’on croirait produite par Disney, on nous indique que ce concentré est ensuite envoyé par bateau et traité. Mais mis à part le cuivre/or et le concentré, il reste tout de même un élément à l’équation qui ne figure pas dans la vidéo: les résidus miniers. Aucune mention de leur quantité, ni la façon dont ils sont disposés.
En fouillant un peu, on se rend compte que c’est 40 millions de tonnes de rejets miniers qui sont déversés chaque année directement à l’océan. Et ce, à 3 km de la côte à 108 mètres de profondeur de la baie de Sanunu. Des rejets « non-toxiques et non-dangereux », indique la compagnie sur son site web.
« Le hic, c’est que ça ne prend pas beaucoup de sulfures (issu des réactifs chimiques) qui reste dans les rejets pour que ceux là soient considérés générateurs d’acide », précise Simon. En d’autres mots, il suffit qu’un tout petit peu de sulfure se retrouve dans l’océan pour contribuer à long terme à son acidification, qui à son tour, entraîne des problèmes environnementaux notamment sur les récifs et plein d’espèces marines.
Matériaux lourds et toxicité
Autre problème: d’autres matériaux, qui auront nécessairement été prélevés du sol avec le cuivre et l’or, vont se retrouver à l’océan (ex: fer, nickel, soufre etc.). «Parce que la flotation risque de ne pas les avoir envoyé dans le concentré», indique Simon. «Ma plus grande inquiétude serait envers ces métaux lourds qui peuvent être toxiques, qui est un terme à la signification variable d’un pays à l’autre. C’est dû à ces matériaux lourds qu’en général, le submarine tailings disposal (rejets des déchets miniers dans les cours d’eau) est banni dans la majorité des pays».
Une fois dans l’océan, les rejets se déposent à 4 km sous le niveau de la mer. « Ça se peut qu’à cette profondeur ça l’immobilise… ça s’en va peut-être dans une fosse», suggère Simon. «Nous, on pompe les rejets pour en faire du béton, donc ça interagit avec rien ».
« Bref, c’est une pratique qui est pas commune dans l’industrie. Il y a des risques. Je ne sais pas si Newmount les mitige réellement. » – Simon*, métallurgiste
Le métallurgiste, qui précise ne pas avoir eu accès aux analyses chimiques pour mener plus loin la sienne, précise que la compagnie propriétaire de Batu Hijau «n’a pas une si mauvaise fiche au bâton», puisqu’elle démontre des volontés pour minimiser son impact environnemental, en faisant des investissements. «La compagnie est tellement grosse qu’ils n’ont pas intérêts de se retrouver dans des scandales», continue Simon. Surtout depuis le bris de pipeline ayant causé la baisse de population de poissons entre 2006 et 2011, selon une étude du groupe environnemental WALHI.
Chaque année, 180 millions de tonnes de rejets miniers sont déversés dans les océans, lacs et rivières. De ce nombre, 80 millions sont rejetés par la mine Grasberg en Nouvelle-Guinée Occidentale, suivi par Batu Hijau en Indonésie. En quatrième position, la mine de Wabush/Scully ici même au Canada dans les environs du Labrador avec 13 millions de tonnes.
Chez nos voisins américain, un vote du Sénat le 2 février dernier a donné le feu vert aux industries minières de charbons pour déverser leurs résidus dans les cours d’eau, grâce à l’annulation de la réglementation «Stream Protection Rule» adoptée sous Obama. Moins d’un mois plus tard, Donald Trump a annoncé que le gouvernement abandonnera le financement de l’Initiative de restauration des Grands Lacs (IRGL), dont l’objectif vise à dépolluer certaines parties des Grands Lacs, affectés eux aussi par les déversements. Rien pour redonner à notre herbe ses couleurs.
*Nom fictif pour préserver l’anonymat.
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Bagus Sekali Ep 01 – Sumbawa
12 heures de moto, 3 îles et 2 traversiers plus tard, ils arrivent essoufflés à Sumbawa. Pas le temps de se reposer, car la vague de Yoyo est assez intense merci et met la table pour le reste du voyage!