Environnement - Sciences
L’auteur est biologiste de formation et candidate à la maîtrise en biologie profil écologie internationale à l’Université de Sherbrooke. Sa thèse porte sur l’état de santé des récifs brésiliens dans le but de développer un plan de conservation durable.
Quand tous ont les yeux rivés sur les surfeurs de Teahupo’o à Tahiti, du North Shore à Oahu ou de Tavarua à Fiji, on est loin de s’imaginer que l’action ne prend pas seulement place sur les vagues. Car en dessous des remous se cachent les plus impressionnants récifs du monde, qui luttent présentement pour leur survie. Tour d’horizon d’un phénomène important dont les répercussions vont bien au-delà des frontières de l’écosystème marin.
Crédit photo couverture: Maude Thériault-Gauthier
Récifs vs coraux
Mais c’est quoi réellement un récif et qu’est-ce qui le distingue d’un corail? Un récif, c’est l’équivalent marin de la forêt amazonienne en termes de diversité. Même s’ils occupent moins de 0,01% de la surface du globe, ils abritent plus du quart de la faune marine de toute la planète. Ça, c’est plus de 800 espèces de coraux durs, 4 000 espèces de poissons, 6 000 espèces de mollusques sans compter une panoplie d’autres mammifères marins. Malgré leur présence dans tous les océans du monde, les récifs sont limités aux eaux peu profondes et claires où la température oscille entre 20 et 28°C. Ils se sont constitués par la superposition des coraux au fil du temps.
Quant aux coraux, ce sont des organismes vivants, à mi-chemin entre la plante et l’animal. Il s’agit d’un regroupement de polypes, des petits animaux ressemblant à des anémones. Les couleurs vives des coraux proviennent des zooxanthelles, un beau mot compliqué pour désigner des algues microscopiques. Ces algues vivent en symbiose avec le corail, dans ses tissus de surface des polypes. Grâce à la photosynthèse, les zooxanthelles fournissent au corail l’énergie et les nutriments nécessaires à la formation de l’exosquelette calcaire. Ça, c’est la structure dure sur laquelle on s’éraffle le corps après un wipe out sur un reef break!
Un rôle clé
Les récifs ont plusieurs autres fonctions que de rassasier les surfeurs accros aux barrels. Ils sont d’abord au cœur de l’économie des îles tropicales et des villes côtières. Les récifs subviennent aux besoins alimentaires de leurs populations, amènent des millions de dollars dans le tourisme local et préviennent l’érosion des côtes en atténuant la force des vagues. En effet, près de 500 millions de personnes en dépendent quotidiennement et leur valeur est estimée à plus de 375 milliards $US par année, selon le National Oceanic and Atmospheric administration of US Departement of Commerce (NOAA). Mis à part les piastres qui en dépendent, les récifs sont aussi la «maison» d’une multitude d’espèces marines.
Comprendre la menace
L’augmentation des gaz à effet de serre a trois effets importants sur les récifs.
Acidité
D’abord, le CO2 atmosphérique est absorbé par les océans. Il réagit avec l’eau de mer et se transforme en acide carbonique, ce qui acidifie les océans. Le problème avec l’acidification, c’est qu’elle empêche les coraux d’utiliser le calcium présent naturellement dans l’océan pour construire et maintenir leur exosquelette. Tout comme l’humain, les coraux ont besoin de calcium pour maintenir des os en santé. À long terme, l’acidité peut même les «dissoudre».
Blanchissement
Deuxièmement, la température des océans augmente indéniablement. Cela a d’abord pour effet d’entraîner des épisodes de blanchissement de masse. Le blanchissement, c’est quand le corail perd sa couleur suite à l’expulsion des zooxanthelles (ces algues microscopiques vivant en symbiose avec le corail) parce que celles-ci produisent des substances qu’il ne peut tolérer. Cela survient lorsque les coraux sont soumis à des stress prolongés, un peu comme un burn out. Mais attention! Blanchissement n’égale pas nécessairement la mort du corail. Si les conditions de stress restent les mêmes pour un certain temps, là oui, c’est dramatique. Mais si la situation est renversée à temps, le corail peut être recolonisé par les zooxanthelles et reprendre du «pep» les mois suivants.
Algues
Une augmentation de température boost aussi la reproduction d’algues qui s’attaquent alors aux récifs. Elles sont des compétitrices féroces des coraux pour la lumière puisqu’elles croissent très rapidement, empêchant les coraux de grandir et de s’établir. Le développement de la côte et le tourisme leur nuisent de la même façon. Plus la côte est développée, plus il y a de monde et donc plus il y a de déchets organiques qui se retrouvent dans la mer. La surpêche, l’exploitation du corail, le piétinement et les «accrochages» causés par les touristes – principalement les plongeurs et les surfeurs (eh oui!) – sont parmi les éléments les plus destructeurs puisqu’ils favorisent la croissance des algues. Un beau petit cocktail Molotov qui privilégie les algues au détriment des coraux.
Que se passera-t-il si les récifs sous nos vagues favorites s’éteignent? Est-ce que les fameux breaks de Teahupo’o, P-Pass ou Cloudbreak subiront le même destin que les récifs qui leurs donnent vie? À long terme, oui. Le cataclysme récifal n’arrivera pas d’un coup et les coraux ne disparaîtront pas du jour au lendemain. Toutefois, avec les changements climatiques qui ne cessent de mettre les récifs à l’épreuve, ils ne seront tout simplement pas capables de mener cette bataille seuls.
La solution des «super coraux»
Présentement, on «conserve» des zones marines en les protégeant. Ça consiste simplement à délimiter une zone et y interdire certaines activités comme la pêche ou l’extraction de corail. Mais est-ce que c’est suffisamment efficace pour freiner leur extinction? Pas vraiment. Même si l’on contrôle les menaces locales, les coraux ne peuvent pas s’adapter et évoluer assez rapidement pour contrer les changement climatiques.
Quelques laboratoires dans le monde, dont l’Hawaii Institute of Marine Biology et l’Australian Institute of Marine Sciences, travaillent actuellement à l’élaboration de «super coraux» qui pourront résister aux futures conditions climatiques. La méthode est plutôt simple: les scientifiques collectent des coraux peu blanchis qui semblent en santé, sur un récif principalement blanchi. Les coraux sont installés dans des aquariums en laboratoire, où la température est augmentée et où le pH est plus acide pour simuler les conditions océaniques futures. Le but n’est pas de les tuer, mais de les acclimater afin qu’ils apprennent à survivre à ces nouvelles conditions. Un peu comme un vaccin agit sur le corps humain, l’immunisant contre la menace infectieuse! Les plus résistants sont ensuite croisés entre eux afin d’obtenir une génération plus résistante. Cette pratique se nomme «évolution assistée» et c’est exactement ce que nous faisons avec les vaches laitières ou le maïs depuis belle lurette.
5 actions simples pour aider les récifs
En attendant les «super coraux», il existe des gestes simples que nous pouvons poser afin de protéger les récifs.
1. Le plus simple de tous: quand tu vas à la plage, ramasse tes déchets! Et si tu peux, ceux que tu croises sur ton chemin. Ils sont nocifs tant pour les coraux que pour les autres organismes marins qui y vivent.
2. Prends ton vélo, ton skate ou tes pieds pour te rendre à l’eau. Ça n’émet aucune émission de CO2. De la sorte, tu ne contribues pas à augmenter l’effet de serre et l’acidification des océans… en plus de faire ton warm up!
3. Essaye de ne pas toucher ou marcher sur les coraux, le moins possible en tout cas. Ça les casse, en plus de les stresser ce qui mène ultimement à leur blanchissement.
4. Pense à acheter une crème solaire sans oxybenzone. C’est un composé qui s’avère dangereux pour les coraux en grande quantité (nous avons d’ailleurs un article très intéressant sur le sujet ici).
5. Finalement, télécharge l’application goflow et rejoins la Beach Patrol. Il s’agit d’un projet citoyen scientifique où tu peux noter l’état des récifs au-dessus desquels tu surfes, paddles ou kite pour aider à amasser des informations sur les phénomènes de blanchissement autour du globe. Les informations récoltées serviront aux scientifiques du Center for Climate and Life à l’Université américaine Colombia, où plusieurs équipes travaillent sur le blanchissement.