La Traversée [ 44.964724° N , 72,202708° W ]

MEMPHRÉMAGOG. Antoine Caron Cabana et Élisabeth D. Taillefer pourraient bien être les premières personnes à avoir réussi la traversée complète du lac Memphrémagog en planche à pagaie. Les deux athlètes de la région ont réalisé leur exploit le 30 septembre dernier entre Newport, VT et Magog, QC. Ils ont mis 9h23 pour traverser le plan d’eau sur une distance de 45,3 km, distribuant au passage quelques milliers de coups de pagaie.

Crédits photo : Nicolas Cool & Sophie Corriveau

L’idée de la Traversée ça vient du fait que j’ai grandi en avant du lac Memphrémagog et pendant maintes années, il y avait des nageurs qui affrontaient le plan d’eau durant une course. Depuis que je pratique le Stand Up Paddle ça a toujours été un rêve pour moi de le parcourir d’un bout à l’autre.

Le lac Memphrémagog est un lac traversé par la frontière entre le Canada et les États-Unis. Côté canadien, il est situé en Estrie, au Québec. Côté américain, il dépend de l’État du Vermont. Long de 42 kilomètres, ce lac a été pendant longtemps l’hôte d’un marathon de nage en eau libre, et ce, de 1979 à 2016. L’événement qui s’avérait d’abord être une fête régionale s’est vu rapidement transformé en un événement d’envergure qui rassemble au sein de la compétition des nageurs en provenance des quatre coins de la planète. Au fil des ans, les meilleurs nageurs de l’Australie, de la France, de la Bulgarie, de l’Allemagne et d’autres pays du monde sont venus se mesurer sur le lac Memphrémagog.

Nous voulions, d’une certaine manière, poursuivre la tradition. L’organisation de notre traversée s’est donc échelonnée sur plusieurs semaines afin de coordonner la météo et l’équipe de support qui assurait la sécurité tout au long de la journée. Étant donné un avis de gel en vigueur la veille, nous avons été contraints de porter une combinaison thermique en plus d’un dispositif de flottaison.

Lorsque nous sommes partis de Newport, le calme régnait dans la baie. On ne parlait pas beaucoup. Comme si l’excitation nous donnait une impression d’être à l’extérieur, aussi calme que la baie, mais à l’intérieur de nous, une fébrilité s’installe et bien sûr l’excitation de l’inconnu qui nous attendait. Nous restions toujours assez près afin d’être capables de nous entendre si nous devions nous parler, si nous devions intervenir pour aider l’autre. C’était ça notre mission. Faire la traversée le plus sécuritairement afin de triper sur notre expérience.

Après les dix premiers kilomètres de pagayage paisible, nous sommes arrivés dans la première partie du lac où nous étions à découvert. Notre rythme allait bien, nous avions accéléré le coup de pagaie, car nous étions maintenant bien réchauffés. Le vent s’est alors levé et évidemment, contre nous. Un vent du Nord-Est qui rentrait de biais en nous poussant vers l’arrière et vers la rive gauche. Au début l’orgueil embarque… on évite de regarder l’autre comme si cela allait laisser paraître le doute. Après une vingtaine de kilomètres, on sentait la fatigue qui voulait s’installer. On ne s’attendait pas à ce que ce soit facile, alors un coup de pagaie à la fois on avançait suivant notre carte à la recherche du poste frontalier.

Ça sonne simple, mais il n’est pas si évident que ça à trouver… surtout quand ta carte n’indique pas certaines zones ou îles. On se rappelle qu’on est en train de traverser l’un des plus grands lacs du Québec. Le lac constitue une frontière maritime de 3 km de longueur. On l’a aperçu enfin, le gros quai de béton avec une pancarte gouvernementale et un petit téléphone jaune. Il fallait se rendre dans une autre grande baie. On a aussitôt retrouvé notre fébrilité du début et notre souffle aussi! Passeport en mains, l’appel fut bref et simple : on était revenu en sol canadien.

C’est environ au tiers du trajet que nous avions fixé le rendez-vous avec notre équipe de tournage. En traversant la baie de Fitch, le soleil s’est mis à transpercer les nuages : la chaleur s’est installée, l’eau est redevenue comme de l’huile.  Nous nous sommes regardés avec un immense sourire de fierté et nous avons recommencé à pagayer avec un très bon rythme, vue incroyable de la montagne Howl’s Head à notre gauche. Une rapide pause sur la berge d’une île située à l’est du lac et nous sommes embarqués sur nos planches en direction du vieux village de Georgeville, croisant des plongeurs et des pêcheurs au passage.  

Le vent bien présent ayant changé de cap l’Ouest nous oblige alors à traverser le lac d’une berge à l’autre afin de s’abriter sur l’autre berge. Avec comme point de repère les tourelles et murs de pierre de l’Abbaye Saint-Benoît-du-Lac nous avons entamé ce qui je crois était le segment le plus éprouvant. Mon wetsuit déjà cerné de sueur, j’avais l’impression d’avancer dans le vide.

Une fois la berge ouest atteinte, nous avions pris du retard sur l’échéancier : il a donc fallu accélérer le rythme et enchaîner les baies rapidement, car le soleil allait rapidement être caché par la masse du Mont Orford et la température diminuait rapidement.

Notre mental était prêt. Nous sommes de bons pagayeurs et on a le bagage physique et psychologique. On s’encourage. On s’attend. On a prend quelques pauses. On s’étire. On chiale. On mange nos bars à saveur de carton et on boit sur une base régulière pour ne pas se déshydrater […] Au loin, on voit notre objectif se dessiner, la tour du Quai MacPherson. Il reste alors une dizaine de kilomètres à pagayer.

 

On parle souvent de la fulgurante popularité du stand-up paddle. Au-delà du buzz associé à son image, la diversité de ce qu’on trouve sur le marché démontre que le sport a atteint une certaine maturité. Le sport tel qu’on le connaît aujourd’hui s’est redéfini : les planches destinées aux courses de vitesse et la longue distance ont la cote et le sport est maintenant fédéré. Au début septembre se tenait justement, à Vorupør et Copenhagen au Denmark, le Championnat ISA World StandUp Paddle and Paddleboard (WSUPPC) qui est un Championnat du Monde régit par l’ISA (International Surfing Association). Le Canada a notamment terminé en 15e position cette année.

En traversant le lac Memphrémagog, nous voulions démontrer le potentiel exploitable de ce plan d’eau qui a accueilli la Traversée internationale (marathon de nage) durant de nombreuses années. Selon nous, les Cantons-de-l’Est seraient la destination parfaite pour l’organisation d’un événement d’envergure de Stand Up Paddle.

Déjà nombreux sont ceux qui ont manifesté leur engouement. Il ne faut pas prendre à la légère ce type de parcours : un plan d’eau de cette taille comporte ses enjeux et malgré nos connaissances on reste à la merci de nos capacités physiques et des éléments. Debout sur une planche en mouvement sur l’eau pendant plusieurs heures ce n’est pas aussi simple que de courir un marathon à la Forest Gump… Même ayant passé d’incalculables heures sur ce lac au fil des années, nous avons aujourd’hui une tout autre perspective.

Un merci spécial à mon père Jean et toute l’équipe: Daniel, Sophie, Nicolas, Jayson, Stephanie, ainsi qu’à notre partenaire Taïga Board de nous avoir permis de réaliser ce rêve. Merci à la  Marina Daniel Viens pour le support technique.