Opinion
Le surf, c’est tellement beau. Qui peut contredire ça? Plus qu’un sport, le surf est souvent représenté comme une expérience jouissive, une philosophie à laquelle est attribué un mode de vie axé sur le plaisir, la liberté et le nomadisme dont plusieurs rêvent. Bref, du gros bonheur rendu possible grâce à une planche et des vagues. Et on l’avoue, on est l’un des premiers à véhiculer ça parce qu’on en est passionné, point barre.
J’ai réalisé que ces représentations n’étaient pas le fruit de mon imagination à l’événement Surf Re-Evolution où un ami m’a parlé de sa théorie de l’effet instagram du surf. Pas sûr de comprendre ce qu’il voulait dire au début. Il m’a alors expliqué sa comparaison, pas si folle que ça, que le surf c’est comme un cadrage parfait tel qu’on le retrouve sur une photo instagram. Le genre de photo pour laquelle on omet volontairement tout ce qui est moins beau. Comme la tache de café sur la serviette de table et la facture chiffonnée à côté du tant convoité latté orné d’un coeur. C’est sans parler du filtre qu’on y applique, qui élimine les défauts en améliorant les couleurs, les contrastes, la lumière etc. Disons-le, instagram c’est un média indéniablement trompeur dont le paroxysme a d’ailleurs été atteint avec l’histoire du faux compte de Louise Delage au profit d’Addict Aid.
« Ça leur [utilisateurs de filtres instagram] permet d’être artistiques. Ça les aide à modifier leur ressenti émotionnel d’une photo. Ça leur permet de rendre un cliché “plus joli”, ce qui veut dire qu’ils peuvent rendre leurs selfies plus attractifs afin de ressembler à leur moi idéal. » – John R. Suler, professeur de psychologie à l’Université Rider et auteur de Psychology of the Digital Age.
Avec le surf, même combat. On omet souvent les moins beaux côtés pour ne montrer que le positif. La planche sous le bras, le regard porté sur les vagues d’un bleu éclatant, un soleil de plomb, de belles rencontres, un drink à la main et des sourires qui contrastent avec un teint basané. Un style de vie pour lequel on crève d’envie. MAN, how I wish I was there. Parfois une blessure de guerre accompagnée d’un shaka. D’autres fois une planche fendue en deux, ce qui fait pas mal bad ass. Mais les downsides du surf vont plus loin que les commotions cérébrales, les points de suture, la tourista ou l’investissement financier qu’implique les voyages et l’équipement… et son renouvellement.
L’article But I surfed instead récemment publié par Surfing Magazine démontre tout ce que le surf a surpassé dans l’échelle des priorités pour des surfeurs à temps plein comme Charly Martin et Craig Anderson. Un texte qui fait prendre conscience à quel point se dévouer au surf (et ça prend beaucoup de dévotion pour s’améliorer), c’est choisir de le placer au dessus de… presque tout. Le reste devient un sacrifice au profit des moments et des lieux où toutes les bonnes conditions de vents et de marées sont réunies. Un événement important dans une vie ou celle d’un proche, par exemple, est manquée au détriment d’un fort swell. Ça peut sembler anodin mais à répétition, ce n’est pas tous les amis ou tous les membres d’une famille qui peuvent comprendre. Dans certains cas, les relations sont mises à l’épreuve, au risque de s’effriter.
Placer le surf au centre de sa vie, ça veut donc souvent dire devoir reléguer les relations au second plan. Préférer les vagues à une relation amoureuse parce qu’une personne ne vit pas près de l’océan et n’est pas prête à le faire, ou décider de partir près de l’océan laissant derrière soit un être cher sont des réalités souvent ignorées. Si c’était la bonne personne, elle comprendrait? Oui, peut-être. Aussi parfois est-il que l’esprit de liberté inspiré par le surf s’applique jusque dans les relations… au point de préférer ne pas s’engager du tout. Ce qui est compréhensible puisque la définition du bonheur varie d’une personne à l’autre. Néanmoins, un jeune esprit libre dont on n’a plus besoin de citer n’a-t-il pas finalement réalisé que happiness is only real when shared? Le manque de relations stables et sérieuses sont des dommages collatéraux qui existent mais qui ne se voient pas sur une photo au cadrage et aux couleurs parfaites.
Vivre près de l’océan est certes un rêve et ceux qui y arrivent tout en travaillant à proximité ont soit de la chance, soit bien joué leurs cartes. Reste que des difficultés se posent quand vient le temps de travailler tout en ayant la possibilité de surfer. Il faut parfois sacrifier cette portion professionnelle pour pouvoir s’adonner entièrement au surf. Puis on connait tous la légende urbaine du gars qui a trop utilisé l’excuse de la grippe ou de la grand-mère décédée afin de pouvoir surfer, finissant par perdre sa job!
Au final, le surf c’est quand même un élément générateur d’expériences incroyables, de surpassement de soi et de rencontres marquantes. Seulement, il faut se souvenir qu’au-delà des images communément véhiculées, tel que le fait instagram, sous-tend une réalité dont l’ampleur des sacrifices dépasse souvent les limites du cadrage. Double tap, on like pareil… mais en pleine connaissance de cause.