Bagus Sekali - Environnement - Indonésie
La vague Turtle qui borde l’île javanaise porte bien son nom. À quelques mètres à peine du break s’érige un centre de conservation de tortues, où nous nous sommes rendus entre deux sessions de surf. Si l’endroit nous est d’abord apparu tel un signe de conscientisation environnemental chez les Indonésiens, ses activités nous ont laissé perplexes.
C’est d’abord l’énorme mur de béton de couleur ocre qui nous a guidé vers le centre Penangkaran Penyu Pangumbahan dans la région d’Ujung Genteng, à l’ouest de Java. La barrière massive sert à séparer la plage publique de celle tenant lieu de zone de protection pour les tortues. Dix points pour l’effort! Vain toutefois, puisqu’une gigantesque faille permet aisément l’accès, surtout à marée basse.
De l’autre côté, après quelques minutes de marche, on tombe sur le centre de conservation de tortues. Du moins, ce qui en reste. Parmi les installations désuètes, quelques bassins à l’eau douteuse. On contourne le bâtiment pour se présenter à l’entrée. C’est un stagiaire d’une université de Jakarta qui nous accueille.
Alors que six des sept types de tortues qui existent sont classés menacés ou gravement menacés, cette organisation indonésienne nous interpelle par la cause qu’elle défend.
Après nous avoir introduit aux incubateurs des bébés tortues, l’étudiant qui étudie leur provenance nous explique qu’une petite poignée d’employés du centre les recueillent la nuit sur la plage, lors de la ponte des oeufs. L’objectif, nous dit-il, est de les protéger des menaces que représentent les animaux tels que les oiseaux, le braconnage et finalement, contrôler leur passage à l’océan.
Devant notre curiosité, le Javanais nous propose d’en relâcher une à la mer. «Une tortue, 20 000 roupies», précise-t-il en dans un anglais approximatif. La libération des tortues a donc un coût? En même temps, ce doit être là l’un des bien minces moyens de rentabiliser leurs activités de préservation. Et puis, 20 000 roupies équivaut à 2$, pas plus cher qu’un gratteux!
Naissance-spectacle
Après avoir assisté à la remise en liberté des petites créatures marines, on a envie d’en voir plus. De se rapprocher du phénomène, c’est-à-dire assister à la ponte des oeufs, qui ne se déroule qu’une fois la nuit tombée. Le soir même, on revient donc clandestinement de l’autre côté du gros mur de béton. Direct, on se fait repérer par deux Indonésiens. On finit par comprendre qu’il est interdit de passer avec nos flashlights puisque les bébés tortues peuvent être perturbées par ces lumières artificielles, alors qu’elles s’orientent habituellement avec la lumière de la lune. Sans mentionner le stress que ça cause à la mère tortue.
Impossible donc d’assister à l’éclosion. Ils nous entraînent alors au centre de protection pour en discuter davantage. Au bout d’une heure de négociations, l’un des Indonésiens nous informe que pour 200 000 roupies (20$) par personne, ils nous laisseraient peut-être passer. Alias, le prix de notre budget quotidien. Autant de merveille naturelle marchandée… on hésite.
Les négociations continuent, c’est brouillon, c’est flou. Quelque chose se trame, on le sent bien. Comme si l’escouade de «protecteurs» de tortues attendaient quelque chose. À minuit, ils finissent par prendre notre 20$ et nous emmènent sur la plage.
Et là, on n’en croit pas nos yeux. Un autobus perce la noirceur, duquel débarque une douzaine de Javanais, flashlights à la main, appareil photo -avec flash- dans l’autre.
Soudainement, la lumière artificielle n’importune plus les employés, qui conduisent le groupe, en échange de roupies, évidemment, aux tortues. En fait, ils attendaient que l’autobus de touristes arrive pour nous greffer à leur groupe, évitant par le fait même de dupliquer le 2 km de marche requis pour se rendre aux dites tortues. Devrait-on rire ou s’insurger?
L’éco-tourisme lucratif
Chose certaine, on aura appris à nos dépends que si la sauvegarde des tortues marines relève d’une bonne action, elle constitue surtout une façon efficace pour ses protecteurs d’en tirer profit. Le World Wildlife Fund (WWF) le confirme: «une tortue lucrative est une tortue vivante.» Toujours selon l’organisme, une tortue à protéger rapporte trois fois plus qu’une tortue chassée.
Pouvons-nous en vouloir aux employés de Penangkaran Penyu Pangumbahan d’utiliser des moyens discutables pour rendre leurs activités lucratives? Le piteux état du centre et de sa barrière témoignent bien de leurs difficultés financières. Puis, leurs activités résultent tout de même d’une avancée sociale puisque la cueillette d’oeufs de tortues par les habitants était autrefois chose commune. Ils s’en nourrissaient ou les revendaient pour environ 1 000 roupies (10¢) l’unité, une source de revenu non négligeable.
Aujourd’hui, c’est l’éco-tourisme qui vient pallier à ce changement, alors que la loi indonésienne se resserre pour ceux qui oseraient voler des oeufs de tortue avec une amende salée (10 000$!) et une peine de prison d’au maximum cinq ans. Bien que la loi soit rarement appliquée, il n’en reste pas moins que le pays a su s’adapter, à sa manière, à la préservation de cette espèce. Ultimement, il y a donc quelque chose de beau dans la maladresse de nos amis Indo.
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