Entrevue - Films de surf - Maroc - Surfeurs
Tom Queyraud signe son deuxième film Second Souffle tourné au Maroc avec les surfeurs Adrien Valéro, Heremoana Luciani, les pro de la WSL Vincent Duvignac et Edouard Delpero, Selim Barkat ainsi que notre ami Youssef Drouich! Si on était intrigué par la quantité de choses que Tom arrive à faire, soit filmer, produire et composer sa propre bande-son sous le nom de «tombottom», on était aussi intrigué par le contraste entre une production française du genre et la réalité de cette terre africaine. L’équipe de OuiSurf a donc rejoint Tom et Youssef pour connaître leur perspective sur l’expérience qu’ils ont partagée au Maroc, qui s’est avérée être beaucoup plus qu’une rencontre culturelle.
Youssef Drouich
Youssef a ouvert son école de surf Travel Surf Morocco à Imessouane, où il est aujourd’hui co-associé. Longboardeur aguerri, il est respecté par son surf, son esprit chaleureux et sa vision positive de la vie. Lorsqu’il n’est pas à l’eau, il s’adonne à la photographie. Inspiré par le passage de certaines productions, Youssef rêve d’un jour réaliser son propre film.
Selim Barkat
D’origine Algérienne, Selim a grandit en Guadeloupe, puis au Maroc. Par manque de moyens dans un pays où le surf n’est pas encore grandement encadrée par l’état, Selim a délaissé ses rêves de compétition pour aujourd’hui se dévouer à l’enseignement de sa passion. Il reste un surfeur avec un fort potentiel de progression grâce à sa technique et sa connaissance de son corps par le niveau de yoga qu’il maîtrise.
Vincent Duvignac
Surfeur professionnel de la WSL, Vincent est originaire des Landes en France. Ayant débuté à l’âge de 10 ans, il est aujourd’hui 2x champion de France et 2x champion d’Europe. Vincent continue de participer à certains championnats à travers le globe sous les couleurs de Rip Curl mais vient de se lancer dans le free surfing, offrant parallèlement des cours de perfectionnement chez lui à Mimizan, auprès de son fils.
Edouard Delpero
Né à Marseille, le surfeur professionnel de la WSL Edouard Delpero vit maintenant à Biarritz sur la côte basque. S’il excelle en shortboard, Edouard se démarque également en longboard, catégorie dans laquelle il est trois fois champion de France (2011 à 2013) et deux fois champion d’Europe WSL (2014, 2015). Un surfeur qui maîtrise tant l’art du footwork et du noseriding que celui des puissants barrels, démontrant sa capacité d’adaptation.
Adrien Valéro
Adrien a grandi en partie au Maroc, puis dans la région du Médoc en France. Il a suivi un cursus de compétiteur mais il est devenu un vrai free surfeur dans l’âme. Commandité par Billabong, il passe la plupart de son temps en surf trip, tout en tenant son école de surf afin de partager sa passion. Adrien garde une attache très forte avec le Maroc et le petit village où il va chaque année se ressourcer.
Heremoana Luciani
Heremoana est un grand surfeur tahitien peu connu du public. En 2011, il met le cap sur la France pour passer son monitorat de surf. Malgré plusieurs titres de champion de France et un passage sur le circuit de la WSL, Heremoana est davantage un free surfeur qu’un compétiteur: il ne souhaite que glisser et prendre du plaisir, lui octroyant un style de surf particulier par sa fluidité, sa rapidité et son efficacité. Aujourd’hui, Heremoana rentre à Tahiti pour retrouver son coin de paradis.
Qu’est-ce que représente le titre de ton film, Second Souffle?
Second Souffle c’est la suite de mon premier film Alombre avec deux des surfeurs qui sont dans le premier ainsi que quatre nouveaux surfeurs. Le thème du film gravite autour de ce qui se passe un peu après la première vie qu’ils ont eu, peu importe leur parcours. Que ce soit des compétiteurs tels que Vincent Duvignac et Edouard Delpero qui ont mis en pause la compétition, et qui maintenant ont fait une reconversion de free surfeurs ou se sont enlignés vers les écoles de surf. Que ce soit comme les Marocains (Youssef Drouich et Selim Barkat) qui eux à l’inverse, n’étaient pas destinés à surfer car ils avaient peu de moyens, leur second souffle ç’a été de découvrir le surf et de créer une vie à partir de ça, au lieu de devenir pêcheur, par exemple. Pour les deux qui étaient dans le premier film, Adrien Valéro et Heremoana Luciani, c’est un peu la continuité, de passer de l’ombre à être fortement exposés avec le premier film. Je me retrouve aussi dans le titre par rapport à ça. C’est finalement en lien avec l’expression “avoir un second souffle”. Dans le sport, quand tu arrives à bout de souffle, disons à une certaine saturation, le second souffle c’est ce qui permet de passer à un autre niveau.
Pourquoi avoir choisi le Maroc?
C’est un pays que j’ai beaucoup visité quand j’étais petit, en 4×4 avec mes parents. Il s’avère qu’à la base je devais aller ailleurs pour ce projet, mais ça a tombé à l’eau. C’est à ce moment que j’ai rencontré Youssef, un ami d’un collègue à moi qui était en vacances à Carcans. On a parlé, puis il m’a invité chez lui au Maroc pour réaliser mon projet là-bas. Alors j’ai modifié mes plans et je suis parti. J’étais basé à Taghazout, mais je me suis déplacé vers Imessouane et un peu plus au nord. J’ai navigué entre ces trois villes pour filmer. J’ai tout de même fait un film davantage axé sur le lieu dans lequel les surfeurs évoluent plutôt que de faire un film sur le Maroc en tant que tel.
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C’est un peu donc grâce à Youssef que tu t’es rendu au Maroc?
Oui, c’est grâce à lui et son surf camp que ça été possible. Ils m’ont hébergé pendant quasiment deux mois, qui m’ont fait venir, logé et nourri.
« Quand j’ai vu le teaser du premier film de Tom, j’ai adoré. Je lui ai parlé de OuiSurf et de Benjamin quand il était venu tourner OuiSurf en Afrique. Je lui ai proposé l’idée de faire son prochain film au Maroc, vu le potentiel de vagues qu’on a ici toute l’année. J’ai eu envie de faire découvrir le surf et la culture de mon pays à travers son regard. » -Youssef Drouich
Comment c’était de tourner dans ce pays?
C’était difficile. Vraiment difficile. Premièrement, parce qu’il y a un aspect personnel que dans le premier film (tourné en France) où j’ai filmé des visages qui là, n’a pas pu être fait. Le Maroc est un pays pas du tout à l’aise avec les caméras, les photos et l’image parce que pour les Marocains, c’est un peu comme si on leur volait une part de leur personne quand on le fait. Sur le plan sportif, c’était difficile aussi parce que toutes les vagues sont exposées au soleil et donc souvent à contre-jour, donc difficile de filmer et lors du montage par après. Ça reste tout de même un pays magnifique car il y a une qualité de vagues incroyable et des paysages fabuleux.
Et dans le line-up, ça se déroulait comment?
Si j’y étais allé tout seul, je ne sais pas comment les gens auraient réagi même s’ils sont extrêmement accueillants. Étant donné que j’étais avec Youssef, j’ai habité dans un endroit où tous les surfeurs Marocains de Taghazout, la métropole du surf du coin, et donc je les ai tous rencontré. Restant là pour deux mois, je ne passais pas du tout pour un touriste donc j’ai eu un accueil génial, aucun problème pour filmer vis-à-vis les surfeurs.
« J’avais déjà parlé de Tom à tout le monde avant qu’il arrive. Je leur avait dit qu’il venait faire un super film, du coup tout le monde était assez curieux de le voir bosser. On a l’habitude de recevoir des réalisateurs, par exemple le réalisateur Taylor Steele (Modern Collective, Sipping Jetstreams), ou encore Thomas Campbell (The Present). Chez nous au Maroc, les locaux sont très amical surtout s’ils savent que les mecs sont avec toi et qu’ils respectent les autres au pic. » – Youssef Drouich
As-tu vécu un moment marquant pendant le tournage?
Oui, à Taghazout sur l’une des vagues les plus connues du Maroc il où y a donc énormément de monde, il y a eu quelques dérapages avec un local et un des surfeurs du film (Heremoana), qui est pourtant l’un des surfeurs les plus calmes et les plus gentils que je puisse connaître. Il s’est fait embrouillé pour rien, et ça m’a un peu fait mal au coeur de voir ça. En sortant de l’eau, l’un des Marocains m’a dit ‘’T’inquiète pas, il est souvent comme ça, le karma s’en chargera’’. J’ai eu par après une longue réflexion par rapport au karma, et il se trouve que cette personne (le local) est décédée il y a environ un mois dans un accident de moto. Ça a fait bizarre, je ne lui souhaitais absolument pas. Ça m’a touché et attristé en l’apprenant par Youssef pour tous mes potes marocains surfeurs ainsi que pour sa famille. Sinon, il y a eu plein de moments marquants, que ce soit une session au coucher de soleil avec très peu de monde à l’eau à Imessouane, à surfer avec les Marocains sur des vagues quasiment infinies.
Et tes outils de travail, c’est quoi?
Je tourne avec du Panasonic et j’ai une gamme de trois objectifs: une longue focale, une courte et une focale qui me sert à faire des plans avec des focus particuliers. Un petit rail, le trépied et puis c’est tout. Je film beaucoup plus du rivage que dans l’eau car par manque de moyens, je n’ai pas un réel caisson. Alors j’utilise une sorte de poche plastique lors des plans aquatiques. La seule session où j’ai voulu filmer dans l’eau, j’ai dû sortir car la poche s’est remplie d’eau et mon seul appareil baignait dedans. Je suis sorti de l’eau les bras en l’air, par chance rien n’a grillé mais sur le coup j’étais pas très serein!
Je pars surtout du principe que c’est pas la caméra qui fait tout le boulot, c’est le point du vue de la personne derrière. Tu peux être caméraman avec une caméra à vingt mille euros, si tu sais pas regarder au bon endroit, tu ne feras pas forcément de belles images. Moi j’ai une caméra à 1 500 euros mais je suis très observateur. Je suis autodidacte à 100%, personne ne m’a appris à cadrer ou filmer correctement quelque chose.
« J’ai beaucoup de respect pour le travail de Tom, il est vraiment doué! Je réalise qu’avec peu de matériel, on peut arriver à faire des images incroyables et que si on a du talent on progresse vite dans son domaine. » –Youssef Drouich
Y-a-t’il un processus de création particulier par lequel tu passes lorsque tu mets en place un projet comme celui-ci?
Tout part d’une idée. Après je vais beaucoup l’imaginer. Parfois à partir de ça, je vais me mettre à écrire des scènes. Mais j’ai pas de structure propre avec un scénario établi de A à Z. Je m’ajuste selon les heures pour filmer, je sais que j’ai envie de filmer certaines scène parfois, je pars avec les éléments et je m’ajuste sur place.
Vidéaste, compositeur et surfeur, tu sembles avoir plusieurs passions. Quelles ont été tes inspirations?
La première de mes inspirations a été le réalisateur Taylor Steele. C’est lui qui m’a donné envie de faire du surf et de réaliser mon rêve, celui de faire un film. J’ai essayé le surf un après-midi et en rentrant le soir, j’ai demandé à mon père s’il avait un DVD de surf et il en avait un de lui qui traînait. Je l’ai regardé 4 ou 5 fois en boucle en me disant “je veux faire du surf parce que c’est trop beau et je veux faire un film de surf parce que c’est trop bien”.
Au niveau de la musique j’écoute de tout, je m’intéresse aussi beaucoup aux bandes de son cinématographiques. D’ailleurs Hans Zimmer qui a fait la bande son de Inception est un compositeur tout à fait incroyable qui m’inspire. Mais après compte tenu que j’ai toujours eu tendance à vouloir faire les choses par moi-même, ça été le même procédé avec la musique. C’est là que j’ai découvert le mariage qu’il pouvait y avoir entre l’image et la musique. De pouvoir créer une musique directement en lien avec l’ambiance et l’émotion que je veux véhiculer dans ce que j’ai filmé. Créer sa musique, ça donne donc encore plus de puissance à l’image. C’était un pari, mais un pari réussi parce qu’à la sortie du premier film, la musique instrumentale électronique sans voix a marché, ça m’a plu et aux gens aussi je crois.
Second Souffle est le 2e volet d’une trilogie, suivant le premier, Alombre. On a déjà hâte de voir le 3e, à quoi peut-on s’attendre?
Le lieu où se déroulera le prochain film était supposé être celui du tout premier. C’est donc quasiment sur que ce sera à Tahiti, parce que je l’ai toujours voulu. D’ici là j’aimerais réellement sortir ma bande son sur les plateformes digitales et écrire le projet Tahiti de manière un peu plus cadrée pour me permettre de trouver des sponsers pour partir. Puis, on fera la promotion de Second Souffle, la tournée des festivals et pourquoi pas faire une première au Québec!
Somme toute, cette expérience est le reflet de ce que véhicule ce film: Second Souffle traite non seulement d’une rencontre culturelle mais également d’une rencontre avec soi-même. Des motivations, des intuitions, des choix qui nous habitent et qui nous portent au-delà des frontières ce que nous comptions être en mesure de réaliser et incidemment, de la perspective de notre propre identité.