À la une - Entrevue
«If you love something, let it kill you». Cette devise que l’on retrouve sur son compte Instagram, Domenic Mosqueira l’avait déjà en tête quand il a sauté d’un bateau en 2009 pour s’initier à la photographie de surf… dans l’une des plus grosses vagues au monde, Teahupoo. Depuis, le photographe mexicano-québécois a fait des plages paradisiaques de Tahiti sa maison et son bureau. Il passe désormais ses journées dans l’eau à photographier les exploits de nuls autres que Matahi Drolet et John John Florence. Plusieurs années après notre première rencontre à Tahiti, une mise à jour s’imposait. On l’a rejoint par téléphone alors qu’il était entre deux sessions.
Photos: Domenic Mosqueira
Ses débuts à Tahiti
BR Nous, on se connaît depuis belle lurette – pour être plus précis, depuis cette soirée où tu nous as accueillis chez toi à Tahiti pour prendre un verre une bouteille. Mais pour le bénéfice de tous, pourrais-tu nous expliquer comment un photographe mexicano-québécois atterrit en Polynésie française?
DM Je suis né et j’ai grandi au Mexique, à Puerto Escondido, avant de déménager à Montréal. J’ai bougé beaucoup! Quand j’habitais dans les Caraïbes, j’ai rencontré quelqu’un qui partait faire le tour du monde en voilier et qui voulait le documenter. Il m’a demandé de le rejoindre et je suis parti avec lui. On a fait le tour et on est finalement arrivé à Tahiti. J’avais toujours voulu réunir mes deux passions, la photo et le surf. En arrivant à Tahiti, je me suis dit qu’il n’y avait pas de meilleure place pour apprendre la photo de surf qu’ici à Teahupoo, une vague que j’avais toujours rêvé de voir et de photographier.
Et il faut dire que c’est aussi ici que j’ai rencontré ma copine, qui est aujourd’hui devenue ma femme. Je marchais sur la rue, et deux jolies filles se sont arrêtées sur le bord de la route. On s’est dit bonjour, elles sont reparties… puis elles sont revenues pour me proposer un lift. Même si j’étais juste à un kilomètre du bateau, j’ai dit oui. C’est comme ça que j’ai rencontré ma femme. Aujourd’hui, on a un enfant de deux ans et demi.
De Montréal à Puerto Escondido, en passant par Teahupoo
BR Tu n’étais peut-être pas photographe de surf avant de mettre les pieds à Teahupoo, mais tu étais photographe. Où a commencé ta carrière?
DM À Montréal. J’ai fait mes études au Collège Dawson en photo. J’ai commencé par faire des photos de concert au Forum, puis j’ai été l’assistant du photographe culinaire Christian Lacroix. J’ai vraiment fait toutes sortes de trucs, mais pas de photo de surf.
BR Mais tu surfais déjà à cette époque?
DM Oui, à ce moment-là je surfais déjà, parce que j’ai habité à Puerto Escondido au Mexique. J’ai appris à surfer là-bas, et même après être déménagé à Montréal j’ai continué mais sur la côte Est. Je faisais le trajet vers New York et le New Hampshire autant que possible.
BR Comment s’est passé ton intégration auprès des locaux de Teahupoo?
DM J’étais toujours au spot, donc je les voyais tous les jours. Mais c’est un ami, Henri, qui m’a ouvert sa porte et présenté à tout le monde ici.
BR Est-ce que tu dirais que la photo t’a aidé à mieux t’intégrer dans la communauté?
DM Oui! Comme on dit ici, c’est tout bénef. J’allais dans l’eau mais je ne leur volais pas les vagues. Je les prenais en photo et je leur donnais gratuitement. De mon côté, ça me permettait de me perfectionner, et eux ils étaient bien contents d’avoir des photos. C’est comme ça que les premiers contacts se sont faits.
Être photographe à l’ère d’Instagram
BR Ça fait quoi, plus que 10 ans que tu fais de la photo de surf à Tahiti. Tu as commencé bien avant la folie d’Instagram, et tu as donc vécu pas mal de changements depuis l’arrivée des médias sociaux. Comment tu gères ça?
DM Avant, on gardait les photos précieusement pour les vendre aux magazines et aux sponsors. On ne voulait pas qu’elles soient vues avant d’être publiées officiellement dans un média imprimé. Aujourd’hui, le nom d’Instagram le dit, c’est instantané. Il faut que ça soit vu sur le coup sinon ça perd de l’impact. Au début ça m’a fait chier, parce que j’ai eu l’impression que ça venait diluer la qualité du contenu. Avec Instagram, tout le monde devenait photographe professionnel. Mais les réseaux sociaux m’ont aussi aidé. À l’époque, je vendais une photo à un magazine pour 20$ et c’était difficile de gagner ma vie comme ça. Quand elles ont compris la force des médias sociaux, les marques ont commencé à payer plus pour du contenu. Maintenant, je peux vendre à une marque une photo qui sera partagée une seule fois sur Instagram pour 1000$.
BR Et toi, est-ce que t’as de la misère à te vendre sur Instagram?
DM Je suis une personne assez timide, donc ça ne me vient pas naturellement.
BR Mais tu as déjà été mannequin, donc de l’autre côté de la caméra non?
DM Oui, mais dans le temps les médias sociaux n’existaient pas. Et j’étais quand même timide! Par contre, cette expérience de mannequin m’a aidé à devenir un meilleur photographe, justement parce que je sais ce que c’est que d’être de l’autre côté de la caméra.
L’importance de la connexion avec le sujet
BR Parlant de ça – un bon photographe pour toi, c’est quoi?
DM Quelqu’un qui te fait ressentir quelque chose avec une image, immédiatement et pour longtemps. Que ce soit avec un portrait, un paysage, il faut que ça provoque une émotion. L’attitude est aussi importante : le bon photographe va être assez sociable avec les gens, il va être à l’aise et il va s’amuser. Je pense aussi qu’il faut qu’il y ait une bonne connexion entre le photographe et son sujet.
BR Parle-nous donc un peu de cette relation entre le photographe de surf et son sujet.
DM Pour moi c’est pas tout, mais presque. Je suis toujours dans l’eau, et il m’arrive de me mettre dans des situations dangereuses pour prendre des photos. Je vais avoir plus envie de me mettre dans ces situations pour quelqu’un avec qui je m’entends bien, c’est sûr. Et c’est un travail d’équipe : je me mets dans une situation critique dans l’eau pour prendre la photo, mais mon sujet lui est dans la vague. On est ensemble dans l’action. C’est la connexion entre le photographe et le sujet qui fait une bonne photo.
BR En ce moment tu travailles avec des gros noms dans le monde du surf. Comment es-tu arrivé à faire ça?
DM Pour sortir du lot, j’ai décidé de me démarquer des autres et de toujours être dans l’eau. Peu importe les conditions, je restais dans l’eau. Au fur et à mesure, j’ai rencontré des surfeurs, j’ai établi des connexions et je suis où je suis aujourd’hui. Ce sont de vrais amis. On s’appelle, on voyage ensemble, on fait des photos.
Les dangers de la profession
BR As-tu déjà pensé que tu allais mourir pendant une session?
DM Oui, à Teahupoo en 2012, une journée où on avait annoncé des vagues de taille tow-in la veille qui n’étaient jamais arrivées. J’étais donc dans l’eau en train de prendre des photos dans des vagues de 4 à 6 pieds, bien relax. J’entends un klaxon, je me retourne et je vois une vague énorme de 4 ou 5 mètres arriver. J’ai paniqué et j’ai fait l’erreur de plonger pour essayer de passer en dessous. La vague m’a éclaté dessus et m’a envoyé sur le récif. J’ai essayé de me sortir de là, mais j’ai réalisé que j’étais en train de nager dans le lip de la deuxième vague qui arrivait. J’ai eu de la chance de pouvoir prendre une bouffée d’air avant de retourner sous l’eau. Je me suis retrouvé encore une fois sur le récif, avec de l’eau au genou, à droite. J’ai reçu la droite sur la gueule, et j’ai finalement réussi à m’en sortir en passant par le petit chenal. Un vrai cauchemar.
BR Parlons de jours plus heureux. Quelle est ta plus grande réalisation à ce jour à Teahupoo?
DM Définitivement la couverture du Surfers Journal, un magazine que je considérais comme la bible du surfeur quand j’étais petit. Ça a vraiment été un honneur.
What’s next?
BR Tu es à l’apogée de ta carrière. Comment vas-tu continuer à évoluer?
DM Avec la photo qui est en train de mourir petit à petit, j’ai décidé de me mettre à la vidéo. J’économise présentement pour m’acheter une Red, et je vais utiliser mes contacts dans le domaine pour me lancer. Je travaille sur un film sur Matahi Drolet, mais je ne peux pas donner plus de détails pour le moment. Je vais aussi partager mon savoir-faire de photographe en donnant quelques workshops. Je ne suis pas riche, mais je suis heureux. Je vis de ma passion, j’ai ma petite maison à Tahiti, une belle famille. Je ne peux pas demander plus que ça.
BR Et le Québec dans tout ça?
DM Ça me manque, c’est sûr. J’ai grandi au Québec, et les grands espaces me manque. Ici à Tahiti, tu sens le poids des montagnes, tu ne peux pas aller te balader dans de grands espaces. La mentalité et l’ouverture des Québécois me manquent aussi beaucoup. Avec mes racines québécoises, ça n’a pas été facile de m’assimiler à la culture et surtout au sens de l’humour français haha. Mais aussitôt que tu passes la barrière des premières impressions, le peuple tahitien t’accueille à bras ouverts.
Un conseil: trouve ta niche
BR En terminant, quel serait le meilleur conseil que tu donnerais à quelqu’un qui veut commencer à faire de la photo de surf?
DM Trouve ta niche, ta voix, ton style. Il y a tellement de contenu disponible, il faut te distinguer des autres. Personnellement, j’ai décidé de partager l’expérience avec le surfeur et de rester dans l’eau, dans l’action. C’est ma marque de commerce. Trouve la tienne! Et accroche-toi, parce que ce n’est pas facile.
Site web Domenic Mosqueira Photography
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